Coup de tonnerre en Suisse ce week-end : par près de 53%, le peuple suisse a accepté une initiative populaire menée par l’UDC (parti conservateur très à droite pour ceux qui ne connaissent pas) et proposant le renvoi systématique des criminels étrangers dans leur pays.
Comme à son habitude, l’UDC a utilisé des affiches chocs, et a joué sur le sentiment de peur, comme pour l’affaire des minarets il y a quelques mois.
Une presse qui s’enflamme
La presse suisse s’est immédiatement enflammée, ainsi que de nombreuses associations, et en particulier les associations d’étrangers de 2ème et 3ème génération (en Suisse, on trouve beaucoup d’étrangers dont les parents ou grands-parents sont venus s’installer en Suisse, notamment des italiens et espagnols, et qui n’ont jamais demandé la nationalité suisse).
Le gouvernement, pour sa part, est bien « emprunté » : il a invité le peuple a voter contre cette initiative, qui ne l’a malheureusement pas écouté.
La démocratie directe donne le pouvoir au peuple suisse
Ce que je trouve intéressant dans cette affaire, c’est précisément la démocratie directe, et la manière dont celle-ci a été utilisée.
Tout d’abord, voici un petit rappel pour ceux qui ne connaissent pas bien le système de démocratie directe en Suisse : l’initiative populaire, qui comme son nom l’indique vient du peuple, permet à n’importe quel citoyen de modifier la Constitution. Il doit pour cela rassembler un nombre minimum de signatures, en un temps limité. S’il y parvient, l’initiative est alors soumise à la Chancellerie, qui étudie la recevabilité du projet. S’il est recevable, le Conseil fédéral a obligation d’organiser une votation dite populaire. Le Parlement peut alors proposer un contre-projet, et les citoyens devront alors se positionner également par rapport à ce contre-projet (c’est ce qui s’est d’ailleurs passé dans cette affaire).
Une décision qui met mal à l’aise le Conseil fédéral
Le jour de l’annonce des résultats, les conseillers fédéraux ont pris acte du résultat et accepté la décision du peuple. Ils sont cependant bien précisé que la Suisse était un pays qui avait besoin des étrangers, et que ceux-ci étaient bienvenus. A présent, il va devoir faire en sorte d’appliquer la loi en Suisse, sans pour autant violer le droit international. Pas facile, et surtout bon courage pour gérer les tensions internes au Parlement au moment de la rédaction des textes (en particulier, il va falloir préciser ce qu’est un délit grave). De fait, on pourrait critiquer la trop grande « souplesse » de la Chancellerie dans l’acceptation d’initiative « limites » comme celle-ci, sachant qu’elle sera forcément dénaturée pour être conforme. La presse suisse, qui commence à remettre en cause la démocratie directe, affirme que les parlementaires sont forcément influencés dans l’acceptation de ces initiatives, de peur de perdre des voix. Le nombre de signatures à rassembler (100 000 signatures au niveau fédéral), jugé trop faible, est également remis en cause.
Une Suisse très partagée sur le sujet
Quand on regarde le détail des résultats, on constate un vrai clivage entre d’une part la Suisse romande (peu favorable au renvoi) et le reste de la Suisse, et d’autre part les grandes villes (peu favorables au renvoi des étrangers criminels) et les zones plus rurales. Zurich est un exemple frappant : alors que seuls 35,5% des zurichois ont voté pour le renvoi, les districts alentours sont tous au moins 55% à avoir voté pour.
Les suisses votent-ils désormais avec leurs émotions ?
En tant que Français, une chose m’avait vraiment frappé ici : la capacité des suisses à voter en toute froideur : alors qu’en France on vote avec ses tripes et parfois en oubliant son cerveau (eh oui, lorsqu’on n’a jamais son mot à dire, on profite de la moindre occasion pour sanctionner un gouvernement, sans pour autant tenir compte objectivement de la situation), en Suisse on est très mesuré dans les urnes : le peuple suisse a déjà voté contre une baisse d’impôt, contre plus de vacances, contre une semaine de travail de 36 heures, ou pour le versement d’un milliard de francs suisses à l’UE sans contrepartie directe. L’intérêt collectif et national est souvent dans la tête de tous ceux qui déposent le bulletin dans l’urne, surtout lorsqu’il s’agit de sujets ayant un impact économique.
Avec les dernières initiatives concernant les étrangers (les minarets et le renvoi des criminels étrangers), je me demande dans quelle mesure les Suisses n’ont pas perdu cette froideur, ni perdu de vues les implications économiques : sans pour autant remettre en cause la décision du peuple, on peut déjà s’interroger sur la validité, en terme de droit international, de ce résultat. On peut également se demander dans quelle mesure cela ne va pas affecter l’image de la Suisse à l’étranger, alors même que le pays a objectivement besoin de travailleurs étrangers pour soutenir son économie.
La relation entre la criminalité et les résultats de l’initiative
L’UDC a mené une campagne basée sur la peur, avançant à qui veut l’entendre, que les étrangers commettent plus de délits et de crimes que les Suisses. Ce qui est à la fois vrai et faux : la majorité des crimes sont commis par des Suisses (plus de la moitié), et un peu moins de 30% le sont par des étrangers qui habitent en Suisse. Ce qui est vrai par contre, c’est que les étrangers, qui représentent un peu plus de 20% de la population résidente, sont responsables de plus de 35% des infractions au code pénal en Suisse (source : OFS). En proportion, les étrangers sont donc plus nombreux à commettre des crimes que les Suisses.
Mais le plus étrange, c’est que ce sont dans les cantons où le taux de criminalité est le plus élevé, que les résultats opposés aux renvois des étrangers ont été les plus importants. Et inversement. L’UDC a donc bien réussi son coup.
A titre personnel, je ne dirai qu’une chose : contrairement à ce qu’on pourrait croire, la très grande majorité des Suisses sont favorables aux étrangers et les apprécient. Le reste n’est que politique.
Et vous, que pensez-vous des résultats de cette initiative ?
Bonjour,
Délinquance étrangères, les vrais chiffres:
* 58.4% dans le cas d’homicide.
* 61.2% dans le cas d’effraction (vol combiné avec une violation de domicile ou un dommage à la propriété).
* 60.8% dans le cas d’un brigandage (vol avec violence).
* 55.8% dans les délits sexuels graves (viol ou contrainte sexuelle).
* 57.7% dans le trafic de drogue.
En 2009, la proportion d’étrangers dans les prisons suisses atteint 70.2%.
Les étrangers représentent à peu près 22 % de la population, donc pour avoir un rapport de 50/50 dans les prisons la proportion devrait être de 78 % de suisses et 22 % d’étrangers….à méditer. Même si ce nombre inclus aussi les étrangers de passage…les chiffres sont éloquents
Je suis double national Suisse/Français et vit en Suisse depuis 30 ans, en aucun cas les citoyens de ce pays sont plus xénophobes qu’en France ou ailleurs. Il y a une longue tradition d’accueil et d’intégration, pas de guettos…et une grande tolérance qui trouve ses limites aujourd’hui.
On parle de renvois de criminels, pas de citoyens étrangers, les étrangers de Suisse sont les premiers exaspérés par cette délinquance qui a des origines différentes de l’immigration historiques d’après guerre jusque dans les années 90.
Se pose la question de l’application de cette initiative dans le droit international…laissons faire les commissions parlementaires et les juristes et après seulement nous pourrons en disserter.
La Suisse a malheureusement bien changé depuis une dizaine d’années, il n’y a pas seulement un sentiment d’insécurité, il y a réellement de l’insécurité.
De parler de vote xénophobe de la part de plus de 50% de la population n’est pas sérieux….si on veut que l’ UDC ne mobilise pas tout le terrain sécuritaire il faut que les autres partis trouvent des solutions à ce problème au lieu de l’ausculter.
Quant à l’accusation de populisme, elle me gène car elle est mal venue dans le contexte politique suisse qui est la forme de démocratie la plus aboutie. Le peuple a réellement le dernier mot et c’est un peu insultant de penser que les citoyens votent avec leurs tripes…la prospérité suisse est aussi le fruit de la sagesse des votants tout au long des décennies passées.
Malheureusement en tant que Français qui aime ce pays je déplore aussi la montée en puissance de la délinquance française dans les zones frontières.
Je crains que nous en sommes qu’au début et je ne serai pas étonné d’y voir apparaître des lances-roquettes un jour….
Je suis de sensibilité de gauche et je le serai toute ma vie, certains slogans, amalgames et pseudo-vérités véhiculés par l’ UDC m’exaspèrent….mais ce parti parle aussi de problèmes bien réels et j’ose espérer que les partis (surtout de gauche) sortent du déni et propose des solutions. C’est quand même le boulot des politiques !
Bien à vous
@Loïc : Merci pour ce témoignage très intéressant. Quelles sont vos sources pour les chiffres ?
Vous faites bien de soulever la question de l’UDC : dans une vraie démocratie, je pense qu’il est effectivement important de donner la parole à tous, y compris ceux qui n’ont pas du tout les mêmes que les vôtres. Et effectivement, l’UDC adresse souvent des problèmes qui sont bien réels et dont on doit tenir compte (je précise qu’en ce qui me concerne, je suis particulièrement éloigné de leurs idéaux). C’est juste la manière qui, personnellement, ne me convient pas.
MERCI DAVID!!!
Merci pour ce papier bien rédigé par quelqu’un qui sait garder la tête froide! Tous les articles dans la plupart des journaux européens parle des suisses xénophobes, qui n’aiment pas les étrangers, qui se replient sur eux-même etc. D’ailleurs, il est fort vraisemblable qu ‘une telle votation aurait connu un succès encore plus fort chez nos voisins Français, Allemand ou Italien, mais ça les journalistes se garde de le dire.
Perso j’ai voté 3x non 🙂 (oui, la propagande UDC ne me plait pas plus que celle du PS). L’initiative UDC est inapproprié et surtout inapplicable, en tous cas ça n’aidera en rien la prévention de la criminalité.
C’est très juste de rappeler que là où il y a la plus forte densité d’étranger, les suisses ont voté non.
Merci encore pour votre « neutralité » sur un sujet si sensible…
@Demido : c’est vrai que le sujet est sensible ! J’ai été surpris de voir les réactions dans la presse européenne : il y a eu effectivement des condamnations et des jugements, mais d’autres ont été plus mesurés, notamment certains journaux TV en France qui pour certains ont montré l’interview des conseillers fédéraux qui rappelaient que la Suisse était un pays d’accueil pour les étrangers. Il y a du mieux, un peu, de ce côté.
@David
« certains journaux TV en France qui pour certains ont montré l’interview des conseillers fédéraux qui rappelaient que la Suisse était un pays d’accueil pour les étrangers »
Ah bon! Quel journal? En tous cas pas celui de France2 qui sont allé au fief de l’UDC valais, filmer tous ces crétins avec leur cravate au mouton noir c’était vraiment pathétique…
@Demido : je crois me souvenir que c’était le journal de M6.
Tous ces cenmomtaires sont très intéressants merci de participer ! Je veux juste souligner la phrase de Thierry, « Comme c’est proportionnel au salaire ». C’est juste, en France les cotisations dépendent du salaire. Pas en Suisse, et c’est une différence de taille : ici, quelque soient vos revenus, vous paierez le même montant à l’assurance santé. Le prix des primes mensuelles ne dépend que du montant de la franchise choisie par la personne… Je crois que c’est bien moins égalitaire qu’en France !
Il y a quelques petites précisions à apporter. Une initiative populaire est applicable quand on veut l’appliquer. Elle ne l’est pas quand on ne veut pas l’appliquer.
Je vais être très franc, le problème vient principalement de notre Conseillère Fédérale socialiste en charge de la justice (Mme Simonetta Sommaruga). Je précise que sa formation politique n’a aucune importance pour moi, mais il y a un problème à noter.
Le contre-projet a été refusé par tous les cantons et plus de la moitié des Suisses (pas le chiffre exact en tête ceci dit), mais le Conseil Fédéral et surtout le Conseil des Etats (haute chambre fédérale (je crois que ça correspond au Sénat en France)) se sont inspirés du contre-projet pour appliquer l’initiative.
Je ne crois pas que vous en ayez parlé plus tard (en même temps, c’est pas vraiment le thème de votre blog, mais ça aurait été intéressant que vous en parliez ^^ ), l’UDC a lancé une initiative d’application (d’ailleurs, il y en a même une deuxième qui va être lancée sous peu d’ailleurs).
Oui effectivement, je n’ai pas poursuivi, par contre on a eu une déclaration de Mme Sommaruga le jour des résultats qui disait assez clairement que ce n’était pas applicable en vertu du droit international… Après, j’ai lâché le fil !