Aujourd’hui, nous allons essayer de comprendre une des particularités de la vie citoyenne en Suisse, l’initiative populaire. Cela vous permettra peut-être de vous sentir moins perdu(e) dans vos discussions avec vos collègues.
L’initiative populaire permet à tout citoyen suisse de faire modifier la Constitution
Une initiative populaire est un projet de révision de la Constitution (fédérale ou cantonale).
En Suisse, tout citoyen (personne, groupe, association…) peut demander à la modifier.
Un comité doit alors être créé pour ce projet et doit :
- déposer le projet à la Chancellerie fédérale à Berne ;
- récolter un nombre suffisant de signatures de la part des personnes qui adhèrent à cette modification : il en faut 100 000 pour une modification de la Constitution fédérale, et le comité a 18 mois pour les rassembler.
Après son dépôt, la Chancellerie doit alors étudier la recevabilité du projet (qui doit notamment respecter les constitutions locale et internationales).
Si le projet est jugé recevable, alors le Conseil fédéral doit organiser une votation populaire : le peuple devra donc se prononcer pour ou contre.
Le Parlement peut proposer ce qu’on appelle un contre-projet, qui sera ajouté à la liste des questions sur lesquelles les citoyens suisses devront se prononcer. Dans ce cas, le peuple devra en plus répondre à une question supplémentaire et devront indiquer leur préférence entre les deux initiatives proposées.
Là où ça se complique , c’est que pour être acceptée, une initiative populaire doit avoir la majorité du peuple suisse, mais aussi celle des cantons.
Les Suisses votent très souvent et doivent s’informer sur les sujets
Les Suisses sont appelés aux urnes très souvent. Aussi, les personnes qui n’ont pas eu le temps de s’informer peuvent consulter les consignes de vote données par les partis représentés au Parlement, ainsi que par des associations et organisations (l’Union Syndicale Suisse, Amnesty International Suisse…). Certains gros syndicats ou associations ont donc un rôle important d’influence dans le vote, et donc un poids sur la scène politique.
Saluons au passage le bon niveau d’informations délivré par les autorités : en plus des consignes, des explications sont données pour chaque votation, et un site propose de tout vous expliquer sur les votations et élections.
Moi, ce que je trouve génial, c’est de voir à quel point le peuple peut avoir une influence sur les lois : aucune modification de la Constitution ne peut passer sans avoir été acceptée par le peuple…
Un exemple concret : la votation du 1er juin 2008 « Pour des naturalisations démocratiques »
Vous le savez peut-être, le 1er juin 2008 une votation populaire a eu lieu sur (notamment) le sujet suivant : « Pour des naturalisations démocratiques« .
L’initiative provient de l’UDC, le parti nationaliste suisse.
Pour faire court, aujourd’hui, la procédure de naturalisation est définie au niveau fédéral, mais ce sont les communes qui gèrent et contrôlent les demandes de naturalisation.
L’initiative populaire prévoyait, dans les grandes lignes, de permettre aux communes d’être autonomes quant à la mise en place des procédures liées à la naturalisation et de rendre définitif les refus de naturalisation rendus par les communes, afin d’éviter les recours auprès des tribunaux. L’initiative a finalement été refusée.
Le système démocratique suisse en France ?
En tant que Français, c’est juste utopique, tant le peuple est loin des décisions. D’ailleurs, si nous avons autant de manifestations dans nos rue, c’est qu’il y a probablement un lien : si le peuple français avait une emprise directe sur le lois, il lui serait plus difficile de manifester contre des lois qu’il a lui-même décidé… Mais après des années d’assistance, on peut légitimement se demander si nous serions capables d’assumer la démocratie directe.
Alors, d’accord ou pas d’accord pour la démocratie directe en France ?
gael says
Très bon article qui éclairera le non-suisse sur notre manière de fonctionner assez originale. 🙂
La démocratie directe en France nécessiterait à mon avis plus de moyens (vous êtes dix fois plus), au niveau des mentalités par contre elles sont à peu près les mêmes donc ça ne devrait pas poser de problème.
Sinon, au passage, des initiatives (et surtout des affiches) racistes comme celles de l’UDC n’auraient à mon avis aucune chance de passer dans le pays des droits de l’Homme, je pense même que celà pourrait provoquer des émeutes.
Marla says
Coucou David,
Alors voui, 10 000 x voui !!!
Au contraire je pense que le « Pays des Droits de l’Homme », comme l’appelle Gael, est parfait pour accueillir ce système !
En revanche, pour moi, ce ne sont pas les lois qui envoient les français dans la rue mais l’inutilité des syndicalistes (à tort) qui sont totalement méprisés par le gouvernement français qui se croit tout permis. (ça y est je peux ferner la parenthèse 😉
Pour les affiches, que ce soit sur les naturalisations ou l’expulsion des étrangers, je pense effectivement que ça ne se passerait pas bien en France. Et je suis plutôt fière de ce côté outragé qu’ont les français 🙂
Mais David, tu oublies de parler de l’abstentionnisme des suisses qui certes, ont la chance de pouvoir faire la pluie et le beau temps dans leur pays, mais n’en profitent guerre…
Par ailleurs, j’ai entendu 1000 fois les suisses romands dire : « de toute façon avec ces suisses allemands, on a beau voter, ils ont toujours ce qu’ils veulent même si on a des envies très différentes des leurs ».
…. no comment:)
Vilay says
Hmmm, Marla, je ne pense pas que pour la plupart des problèmes en Suisse, la division se fasse entre la Suisse romande et la Suisse alémanique mais plutôt parti par parti et je dirais même fraction de parti contre fraction de parti( j’en veux pour exemple l’UDC grisonne frappée d’ostracisme par les instances nationales). Sans compter les alliances, les rivalités à l’intérieur des cantons etc, etc…Bref, c’est une vrai soupe ou le citoyen est roi et a le dernier mot.
trazom says
La démocratie directe à l’échelon fédéral est une chose (modif de la constitution)… théoriquement transposable à la France, mais la démocratie directe cantonale (contestation d’une loi, projet populaire, initiative… avec des variantes suivant les cantons) est totalement illusoire dans un pays aussi centralisé que la France et où le législatif s’efface devant l’exécutif. Alors qu’ici, ce serait plutôt le contraire.
Ces derniers temps, les clivages sont plutôt ville/campagne que Suisse romande/Suisse alémanique et Tessin.
David says
Juste des petites précisions:
La Chancellerie fédérale n’examine que la forme de l’initiative (il faut le titre, les noms des membres du comité, etc.).
C’est le parlement qui examine les autres critères. Une initiative populaire peut tout à fait violer une constitution cantonale et même une loi (un article constitutionnel est de rang supérieur aux lois fédérales et constitutions cantonales). Elle peut également violer le droit international, à la seule exception du droit international impératif (torture, génocide, assassinat arbitraire, guerre invasive, colonisation, esclavage), ce qui laisse quand même de dangereuses possibilités (rétablissement de la peine de mort, interdiction d’une religion, etc.). Une initiative des années 1930 souhaitait même créer un Etat national-socialiste, mais elle a été refusée. Le parlement peut proposer d’accepter ou refuser l’initiative, l’invalider partiellement ou totalement (si elle viole le droit international impératif/ si elle est impossible à mettre en oeuvre, si elle viole l’unité de la matière et quelques autres critères formels) ou proposer un contre-projet direct (constitutionnel) ou indirect (légal). Dans les faits, il est rarissime que le Parlement décide d’invalider une initiative.
David Talerman says
David,
Merci pour ces précisions. Il serait heureux qu’un examen plus approfondi soit fait a priori, car on l’a bien vu : certaines votations sont malheureusement inapplicables ou du moins difficiles à appliquer.