En regardant la presse suisse et française la semaine dernière, impossible de rater l’information relayée par le Figaro, le Point, 24heures et probablement d’autres : Paris s’inquiète du chômage en Suisse, qui a un impact sur les finances de la France, car les frontaliers sont indemnisés par la France. Je crois que c’est bien la première fois que je vois les autorités françaises, que dis-je, parisiennes, s’intéresser aux frontaliers. Et c’est un peu tard.
Les frontaliers sont indemnisés par Pôle Emploi en France et cotisent en Suisse
Si Paris s’émeut, c’est parce que les autorités françaises passent à la caisse. En effet, pour ceux qui ne savent pas comment se passe le chômage des frontaliers, le système est le suivant : un frontalier français en Suisse qui se retrouve au chômage est indemnisé par la France, bien qu’il ait cotisé en Suisse. Selon les différentes sources journalistiques, les frontaliers seraient le 2ème régime le plus coûteux en France, après celui des intermittents du spectacle. En ces périodes où la France a du mal à boucler ses budgets, ça fait désordre.
Un système rendu possible par des négociations bien menées par la Suisse
Ce système est un héritage des négociations bilatérales qui ont donné lieu à un accord signé en 2004 entre la Suisse et la France, accord mis en application en 2009. A l’époque, les négociateurs suisses, réputés pour leur maestria, ont fait passer un éléphant dans un trou de souris, face à des négociateurs français visiblement incrédules. Je pense que ce « détail » (il y avait à l’époque, en jeu, des intérêts importants sur le thème notamment de la libre circulation) coûte aujourd’hui à la France plusieurs centaines de millions d’euros sur la période (pour être juste, il faudrait le calculer mais je suis presque sûr de ne pas être trop loin).
Des dossiers frontaliers historiquement ignorés par Paris
Les frontaliers, c’est bien connu, sont des nantis qui roulent tous en Audi ou BMW. Il est vrai que vu de Paris, le frontalier « moyen » est bien plus à l’aise financièrement que son homologue français non frontalier (ceci dit, ce n’est malheureusement pas compliqué). Alors quand un frontalier demande quelque chose, c’est un peu perçu comme un caprice. Vu de Paris, s’intéresser à ces nantis de frontaliers, c’est quasiment du suicide politique. C’est tout de même mieux de montrer à l’opinion qu’on s’intéresse aux pauvres. Si en plus vous ajoutez sur l’échiquier le fait que les départements frontaliers sont tous à droite, autant dire qu’à la simple évocation du mot « frontalier », toutes les portes dorées de l’Élysée et de Matignon se ferment. Et c’est précisément ce qui se passe, à gauche comme à droite, depuis plusieurs années. Regardez simplement comment les autorités ont pris en considération le dossier de l’assurance maladie privée des frontaliers, et vous comprendrez à quel point la situation des frontaliers n’intéressait pas grand monde à Paris.
Paris se plaint du chômage des frontaliers… alors qu’il en est en partie responsable
Mon coup de gueule arrive : comme je l’indiquais dans un précédent billet, le zèle de la CPAM, qui, via l’URSSAF, redresse les unes après les autres les sociétés suisses qui recrutent ou ont recruté des frontaliers, a incontestablement un impact significatif sur le chômage dans la zone frontalière. Dans cette affaire, le droit communautaire, mal ficelé, autorise l’URSSAF a faire payer les entreprises suisses qui ont recruté des frontaliers qui ont été indemnisés par le chômage, l’année précédent son recrutement, et la suivante. Sachant que la plupart des cas d’application ne sont pas connus (la CPAM, dans sa grande bonté, refuse de communiquer dans quels cas elle peut faire payer une entreprises suisse), les entreprises suisses qui sont informées ont eu un réflexe sain : elles refusent de recruter des frontaliers, et dans certains cas procèdent même à des licenciements. D’où l’impact sur le chômage. Donc quand je lis que Paris se plaint du chômage des frontaliers, je rigole doucement et un peu jaune, sachant que la France est le seul pays européen limitrophe à avoir cette attitude irresponsable. La CPAM va donc pouvoir se réjouir, ses caisses seront bien renflouées. Certes, il ne faut pas regarder les caisses du chômage, mais peu importe, ça ne dépend pas du même ministère…
Conclusion
Une fois de plus, la grosse machine parisienne, armée de ses ministères administratifs, montre à plein son pouvoir de nuisance sur l’économie française et locale. Sa nuisance est telle qu’elle déborde même jusqu’en Suisse. Étant en partie responsable de ce qui se passe, s’en est presque ironique. La vraie question serait de savoir si elle s’en rend compte et si, au fond, le sort des frontaliers l’intéresse…
crédit photo : Fotolia © Chlorophylle
Polo says
Le pire dans cette triste histoire c’est le message véhiculé par les média cités ci-dessus qui font l’impasse volontairement sur les subsides perçus de la Suisse par la France et notamment la rétrocession d’impôts à Genève. La sociale promeut l’égalitarisme à tout prix mais en coulisse s’applique à diviser pour mieux régner.
David Talerman says
Bonjour Polo,
C’est juste, mais cela reste néanmoins un autre poste. Auparavant, il y avait rétrocession des droits au chômage de la Suisse à la France, ce qui n’est plus le cas depuis plusieurs années. L’impôt est en partie reversé aux communes françaises, mais c’est quand même autre chose.
Knecht says
Ancien frontalier, je me dois de préciser que la Suisse rétrocède à la France la totalité des cotisations chômage à la France…Il faut mieux vous renseigner!!!
David Talerman says
Bonjour,
Ce qui vous dites était tout à fait vrai… avant !
Sanner says
Monsieur Talerman j’ai apprécié votre article, cependant, vous avez omis volontairement ou pas, de préciser que 80% des cotisation chomages des frontalier en Suisse sont reversé au caisse en France, et que nos indemnisations sont calculé sur ces 80%.
David Talerman says
Bonjour,
Malheureusement ce n’est plus le cas !
Solaire says
Très bonne analyse, merci!
Petite question, est il vrai qu’il suffirait que la France demande à la Suisse les cotisations chômage du frontalier à chaque fois qu’elle indemnise un chômeur frontalier? Je crois qu’il était prévu que la Suisse reverse 3 à 6 mois de l’équivalent du chômage Suisse à la France lors d’un chômage? (soit 80% du salaire et non 57% comme en France)
http://www.lemessager.fr/Actualite/Chablais/2012/07/18/article_la_france_pourrait_se_faire_rembourser_l.shtml
David Talerman says
Très juste, sauf que dans les faits il ne sa passe rien à cause des lourdeurs administratives (à moins que cela ait changé), et surtout c’est limité dans le temps.
MELewis says
Excellente analyse, merci! Frontalier anciennement indémnisée par le Pole Emploi, je peux tout à fait comprendre le désarroi Suisse face au nombrilisme de nos administrations en France. Malheureux mais donc pas étonnant le problème du chomage des frontaliers…
bauberg says
L’Europe doit intervenir. Car la situation est complètement déséquilibrée. Effectivement, le problème provenant de la CPAM et de l’URSSAF est une aberration, mais les suisses et leur votation ne vont pas du tout dans le sens du frontalier. Bien au contraire.
Par contre, ils continuent de coloniser la frontière de l’Ain et de la Haute-Savoie et cette situation devient inacceptable et devrait etre tranchée par Bruxelles. Le Grand Genève peut-il se faire si ce sont toujours les Suisses qui continuent de tirer profit d’une situation. Les cotisations chomage doivent etre reversées à la France, ou alors les Suisses vivant en France plus lourdement taxés qu’ils ne le sont. Il faut vraiment que l’Europe remette à plat ces accords bilatéraux bancals.
Benoit says
Bonjour,
J’aimerais être éclairé sur le point suivant:
J’ai effectué un CDD de 3 mois en Suisse entre avril et juin 2015. J’étais considéré comme frontalier avec retour hebdomadaire en France.
J’étais inscrit à Pôle Emploi en tant que demandeur d’emploi lorsque j’ai été embauché et j’ai donc demandé le formulaire U1 que j’ai transmis à Pôle Emploi pour m’ouvrir des droits au chômage. Comme je n’ai travaillé que 3 mois, ce n’était pas suffisant, j’ai donc été notifié d’un refus d’indemnisation. Jusqu’ici tout va bien.
Je vais retravailler sur France à partir du 24 avril pendant d’un mois (CDD), j’aurai donc une durée d’affiliation suffisante pour ouvrir des droits à indemnisation.
Ma question est la suivante: quels sont les salaires pris en compte pour le calcul des indemnisations? Suisses ou Français?
Merci !!!
David Talerman says
Bonjour Benoit, dans les faits les deux vont être pris en compte. Contactez Pôle emploi pour plus de détails.
Marie says
Bonjour,
Je suis profession libérale en Haute Savoie et donc affilié à la CPAM .
J ai une activité salarié un jour par semaine en Suisse , La Suisse me demande le choix de mon droit d option .
J ai fait un dossier pour m affilier en tant que frontalier à la CPAM ( qui n ‘est pas encore validé car incomplet )
Le calcul des cotisations se fera sur mes revenues français pendant 2 ans puis français et suisse . revenus sur lesquels je paye deja des cotisations URSSAF ).
Pouvez vous me conseiller sur le fait de refuser le rattachement à la sécu en tant que frontalier, et d’opter pour le rattachement au système d assurance suisse .
Quelles sont les cotisations sur la Suisse et vers quelle organisme me tourner .
Merci
Huguet says
Bonjour,
J’habite à la frontière depuis 8 mois, auparavant dans le Sud-Ouest où j’étais assistante-maternelle. J’ai déménagé pour suivre mon mari et suis installée depuis mars à la frontière. Me suis inscrite à Pôle-emploi puis ai obtenu un CDD dès mai en Suisse dans ma profession initiale (je suis suissesse). Je termine mon remplacement le 30/11/2016. Quelles démarches dois-je faire pour m’inscrire à nouveau au chômage ? Merci pour votre réponse.
Eric says
Bonjour,
Je me permets de vous laisser un commentaire car un aspect du chômage des frontaliers m’interpelle, par rapport à la retraite.
Comment sont comptées les périodes de chômage d’un frontalier ayant peu travaillé en France pour la retraite? En effet si je ne m’abuse un retraité frontalier ayant travaillé dans les deux pays verra sa retraite calculée en fonction de ces deux situations.
Pour le côté français le montant de la retraite est calculé sur le revenu des 25 meilleures années, ou moins si le compte n’y est pas. Les périodes de chômage comptent pour valider les trimestres de retraite mais ne peuvent pas entrer en compte dans le salaire de référence.
Si je prends ma situation personnelle ayant travaillé seulement quelques mois en France, au smig ou pas loin (début de carrière), ma part de retraite française sera ridicule. Frontalier, si je me retrouve au chômage, j’augmente la part de cette retraite misérable dans ma retraite totale, puisque je valide des trimestres en France sans que le montant de l’allocation ne soit considéré comme un revenu.
Si David ou quelqu’un d’autre peut confirmer/infirmer ce raisonnement?
J’en profite pour vous féliciter pour ce blog, véritable mine d’informations.
David Talerman says
Bonjour Eric,
Pour faire simple, on va cumuler les temps passés dans les deux pays de sorte à ne pas avoir de « trou » de cotisation. Ensuite, un calcul spécifique est fait dont je ne donnerai pas le détail.
Concrètement, vous toucherez donc le moment venu une retraite de la France, et le moment venu une retraite de la Suisse.