Le grand tapage médiatique de l’affaire Swissleaks n’a pas pu vous échapper : toutes les chaînes françaises étaient toutes très fières d’annoncer l’excellent travail des journalistes du quotidien le Monde qui, en collaborant avec des journalistes du monde entier, ont révélé à la planète entière ce que tout le monde savait depuis longtemps : il y a des évadés fiscaux (tiens ?) et il y en a en Suisse (ah bon ?). Un vrai scoop. En fait, tout ceci sent le réchauffé, car cette affaire date en fait de 2008 : Hervé Falciani, un informaticien travaillant pour HSBC avait à l’époque tenté de vendre une liste de noms à la France, en vain. Cette liste s’était finalement retrouvée entre les mains du Fisc français, qui l’a ensuite lui-même remis au Fisc britannique. S’en est suivie une période de chasse aux contribuables, puis une période de silence médiatique pendant laquelle les journalistes du Monde entier, après s’être procuré la liste, ont interrogé les célébrités de la liste, pour finalement sortir un « scoop » cette semaine.
Les hommes politiques français sont absents de la liste
Doit-on saluer l’excellent travail des journalistes ? Pas certain. En effet, sur une liste aussi importante (100 000 personnes au niveau mondial, et 3000 rien qu’en France) il semblerait que n’apparaissent que des anonymes, des stars et des célébrités. Aucune information n’a filtré sur les hommes politiques. Il suffit de regarder un peu en arrière (voir notamment l’affaire Cahuzac) pour se dire que c’est statistiquement improbable. J’ai eu beau regarder l’ensemble des articles écrits ces derniers jours, très peu s’aventurent à dire que des hommes politiques sont impliqués. En fait, les autorités françaises savent depuis très longtemps (au moins 2012) quels hommes politiques français sont impliqués. Ces mêmes autorités françaises se sont d’ailleurs empressées de supprimer de la liste les noms des politiques impliqués (et peut-être d’autres d’ailleurs) avant de remettre le listing aux autorités suisses. Nous avions d’ailleurs fait un billet à ce sujet, et le Ministère public de la Confédération avait à l’époque confirmé cette information.
Donc si je résume : on préfère jeter en pâture aux média un Gad Elmaleh qui avait 80 000 euros sur un compte en Suisse (une vraie fortune en comparaison des sommes annoncées) plutôt que de parler des hommes politiques français et révéler leur identité. C’est de la vraie information et du grand journalisme. A moins, à moins, qu’un pseudo secret de l’instruction empêche ces mêmes journalistes de faire leur travail, mais si c’est comme pour l’affaire Cahuzac, on risque d’attendre encore longtemps (à ce jour, Jérôme Cahuzac a été renvoyé en correctionnelle, et si un procès est envisageable en 2015, rien n’est moins sûr). Vous me permettrez de ne pas parler de l’indépendance de la justice ni de la corruption dans ce billet, sinon nous serons encore là dans 3 heures…
L’indépendance des journalistes en question
En fait, cette affaire met en lumière l’indépendance réelle des journalistes : on savait déjà, par exemple, que sous le mandat Sarkozy, les journalistes français bénéficiaient des largesses de facturation de l’Elysée en voyageant pour pas cher dans l’avion présidentiel (une situation dénoncée dans un rapport de la Cour des Comptes) : pas facile pour une rédaction de cautionner l’écriture d’un billet à charge sur un Président qui vous finance. Pour être sûr que ces mêmes journalistes seront vraiment dociles, le gouvernement français a récemment décidé d’augmenter les aides. D’ailleurs, comme le souligne l’excellent H16 dans un article sur le sujet du financement de la presse, la France arrive en 39ème position dans le classement mondial de la liberté de la presse (la Suisse est pour sa part en 15ème position) après le Ghana, le Cap vert, la Namibie… Les hommes politiques français peuvent encore dormir tranquille, pendant que les journalistes du Monde sortent leurs incroyables scoops.
En conclusion…
J’espère vraiment que dans les jours qui viennent les journalistes auront la décence de révéler ces noms d’hommes politiques, ou du moins de dire pourquoi ils ne les révèlent pas. Mais affirmer que la liste n’a pas été trafiquée (ce qui, encore une fois, a été démenti par la Confédération), c’est vraiment se moquer du monde. Sur le fond, je trouve que les démarches des journalistes français vont dans le bon sens : le LuxLeaks et autres affaires de cette envergure apportent un peu plus de connaissance au monde sur ce qui se passe « en dessous », et c’est très bien. A condition que cela soit fait correctement, et en toute impartialité, mais nous pouvons ne pas avoir le même avis…
Michot Olivier says
Salut David,
Toujours aussi pertinent et impertinent tes analyses, l’article doit absolument être lu.
Amitiés
Olivier
David Talerman says
Bonjour Olivier,
Merci pour le compliment et pour ton soutien !
nathalie says
Hommes politiques et fraude fiscale.
Il peut être intéressant de revenir aux débuts de l’évasion des capitaux français vers la Suisse grâce à l’intervention de Sébastien Guex dans le programme de France Inter : Interception, diffusé le 13 mai 2012 : France : la roue de l’infortune. Enquête sur ces milliards qui échappent à l’impôt.
http://www.franceinter.fr/emission-interception-france-la-roue-de-l-infortune-enquete-sur-ces-milliards-qui-echappent-a-l-impo
Il rappelle le contexte de la chute du gouvernement Herriot et son probable lien avec l’affaire des fraudes fiscales en 1932.
En 1932, sous le gouvernement Herriot, les autorités françaises procèdent à une perquisition dans les locaux de la Banque Commerciale de Bâle à Paris. Les numéros de comptes sont saisis ainsi que la liste des noms des propriétaires de comptes (1100 noms). Parmi les propriétaires de ces comptes, figurent des personnalités (archevêque de Paris, sénateurs, anciens ministres, généraux…). L’élite est mise en cause. 6 mois après cette perquisition, c’est la chute du gouvernement, chute précipitée par cette affaire de fraude fiscale.
A lire aussi :
http://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2007-1-page-89.htm
David Talerman says
Bonjour Nathalie,
Ce que vous dites sur Herriot est très juste. D’ailleurs, nous en parlions dans ce billet sur les 10 choses que vous ne savez sûrement pas sur la Suisse. Je pense que le gouvernement Herriot est indirectement responsable du secret bancaire (voir l’article), c’est plutôt ironique !
Merci pour toutes ces références.
Michèle Herzog says
Monsieur,
Je viens de lire votre billet expliquant que la liste Falciani a été épurée. Ce que j’avais aussi lu il y a longtemps.
J’espère naturellement que la liste exhaustive sera étudiée par les journalistes. Mais ce n’est pas mon souci aujourd’hui.
Ce qui est très intéressant aujourd’hui: plusieurs personnalités suisses (Mme Calmy-Rey, M.Dick Marty) réclament une enquête pénale contre HSBC
et se demandent pourquoi le MPC qui a reçu la copie des CD en 2010 n’a pas réagi. Et pourquoi la FINMA n’a pas réalisé de contrôles sérieux.
Meilleures salutations.
Michèle Herzog says
Scandale HSBC: Merci de signer les pétitions.
Voir le dernier article de mon blog qui contient les liens des pétitions:
http://egalitedescitoyens.blog.tdg.ch/
Meilleures salutations.
bouakaz says
bonsoir monsieur Talerman,bravo! pour votre analyse, et oui cette affaire ne révèle pas tout,imaginer qu’il y ai une grosse pointure de la politique Française voir même un premier ministre,ça ferait l’effet d’une bombe dans le contexte politique actuel?
magda says
Bonsoir.
Je suis d’accord que votre article est très intéressant .
Mais ça me gêne l’idée qu’il y a un complot de la part de TOUS les journalistes pour que TOUTE la classe politique française soit épargné dans cette affaire.
En tout cas je me pose la question…et j’espère que ce ne soit pas le cas.
Salutations.
Magda
Virginie says
Et que dire de l’attitude des médias (et autres) vis à vis de la liberté de s’assurer, en tant qu’européen, où l’on veut en matière d’assurance maladie ? N’est-ce pas ?
David Talerman says
Bonjour Virginie,
Votre commentaire est totalement hors-sujet mais je publie. Que sous-entendez-vous ?
Virginie says
M. Talerman,
Ne laissez que les posts qui vont dans votre sens, comme ça pas de contradiction, tout va bien pour vous et votre propagande GTiste. C’est assez minable.
David Talerman says
Ah je comprends mieux maintenant votre commentaire précédent qui était bien une pique. Voici quelques explications sur la manière de fonctionner de ce blog :
1/ Les commentaires sont modérés a priori, ce qui signifie que je ne publie pas les commentaires racistes, haineux, les menaces et autres commentaires complètement hors sujet. Etant responsable légalement du contenu de ce blog, je n’ai pas d’autres moyens de ne pas me mettre en difficulté vis-à-vis de la loi. Et puis de toute façon c’est mon choix et ceux à qui cela ne plait pas ont toujours le choix de ne pas me lire.
2/ Du fait du 1/, il m’arrive de laisser quelques jours de flottement, notamment les week-end (c’est ce qui est arrivé à votre commentaire). C’est comme cela.
3/ Concernant votre commentaire précédent : je vous invite à aller faire le troll sur d’autres sites, d’autres forum car c’est visiblement là votre intention (pour rappel, un troll est une personne qui va tourner en polémique un sujet, détournant ainsi l’objet initial du post). Je sais que les bonnets rouges frontaliers n’ont pas aimé ma prise de position et surtout d’avoir révélé à tous qu’il s’agissait avant tout d’une organisation à but lucratif avec des assureurs derrière. C’est ainsi. C’est ça, la vraie information. Je ne vous demande même pas si vous faites parti de cette « organisation », je crois que tout le monde a bien compris.
Virginie says
Qui parle des bonnets rouges ? Je n’en fais pas partie. La « grogne » anti-sécu ne concerne t-elle que ces quelques personnes isolées et sans vraiment d’influence ? Je ne crois pas. Il suffit d’en discuter autour de soi. Le GTE n’est de loin pas (plus) parole sacrée même si leur pouvoir de communication est énorme car bien aidé financièrement. Maintenant vous avez raison sur un point, ce n’est pas le sujet initial, mais comme les trolls, certains sujets sont lancés ou repris en vue de détourner les lecteurs des vrais problèmes qui les concernent ou concerneront au premier chef.
Eddy says
J’ai lu le Monde du 10 février qui consacre plusieurs pages à cette affaire d’évasion fiscale à grande échelle à l’échelle planétaire. C’est vrai que ce n’est pas un scoop !
En revanche, révéler des noms de fraudeurs patentés est un scoop … car hormis notre ex-ministre du budget Cahuzac qui a commis l’imprudence d’avouer, sans pouvoir être excusé de sa fraude exemplaire, le discrédit à l’égard de la classe politique est à présent total auprès de l’opinion publique.
Alors, fallait-il que les journalistes du Monde indiquent leurs noms pour les exclure du champ politique ? That’s THE question !
Hormis le fait que cela aurait permis au Monde de publier une édition spéciale : le « livre d’or des citoyens français au-dessus de tout soupçon », que la réponse soit positive ou négative ne change rien : la défiance est désormais totale et j’irais même jusqu’à dire irréversible à l’égard de la classe politique actuelle, qui n’a pas su adopter la réforme qui s’impose, préférant maintenir un système fiscal obsolète jugé « bon » pour la majorité silencieuse, mais sûrement pas pour eux-mêmes ! Alors là chapeau bas !
Le vrai paradoxe de cette enquête minutieuse, qui a l’avantage de mettre en lumière des pratiques de très longue date, c’est qu’elle révèle surtout l’hypocrisie de toute la classe politique… tous non bien entendu ! Mais comment savoir qui est exemplaire de celui qui ne l’est pas à présent.. si on ne sait pas qui a fraudé ?
Moralité :
1) les politiques français démontrent leurs contradictions : faites ce que je dis, mais pas ce que je fais dans mon propre intérêt !
2) les cadres bancaires (UBS et HSBC) sont inquiétés par la justice pour avoir été les serviteurs zélés de leur direction qui les a mandatés pour démarcher jusqu’à leur domicile en France tous ceux qui ont eu envie de frauder le fisc de leur pays. C’est merveilleux !
Moi qui ne défends plus les banquiers depuis la crise des subprimes en 2007-2008 qui ont fait basculer autant de foyers Américains modestes dans la misère, je prendrais presque leur défense dans le cas présent ! On n’en est plus à un paradoxe près.. n’est-ce pas ?
Alors oui, posons nous la question de savoir qui est le plus répréhensible ?
Les banquiers suisses .. qui ont tiré avantage d’une fiscalité plus avantageuse pour les non-résidents en Suisse, ou les politiques .. qui n’ont jamais voulu harmoniser la fiscalité entre les pays européens .. pour pouvoir en disposer à leur guise !
Le serpent continue à se mordre la queue… sans s’en rendre compte !
Autant dire une histoire … à dormir debout ou à rêver tout en étant éveillé !
Seulement voilà.. nous sommes en démocratie.. même si certains s’en servent comme d’une démo-crassie … genre paillasson pour se frotter les semelles ! Sauf que la majorité silencieuse en a raz le bol d’être prise pour des imbéciles .. devenus mal-heureux !
Je sens que le retour de bâton ne va pas tarder … et ce serait bien mérité !
David Talerman says
C’est ce qu’on appelle un commentaire appuyé. On peut aussi voir les choses d’un autre oeil, et se dire que si tout ceci a trouvé sa place, s’est peut-être bien à cause des enfers fiscaux de certains pays… Ouh la la, je sens que ça ne va pas plaire à tout le monde !
Irene says
@ David Talerman dans son dernier commentaire
;o) vous voyez bien que si ces ministres voulaient réellement faire de ces ‘enfers’ fiscaux non des paradis mais de simples endroits vivables ce serait déjà fait.. ils sont ‘ministres’ comme vous dites et changent tant de choses souvent pour les laisser encore plus immobiles ou à contre-courant du sens commun….