Lentement, sûrement, la Suisse se détourne de l’Europe et de l’Union européenne. Un comportement d’autant plus étonnant que les intérêts des pays sont fortement liés, notamment sur le plan économique. Comme souvent avec la Suisse, les signaux sont faibles et un phénomène trouve parfois son explication dans une multitude de petits détails.
Et des petits détails qui montrent que la Suisse s’éloigne de l’Union européenne, j’en trouve de plus en plus.
Les premiers signes avant coureurs sont venus en juin 2021 quand la Suisse a annoncé unilatéralement l’abandon des négociations sur l’accord cadre avec l’Union européenne après 7 ans de pourparlers. Cet abandon est tout sauf neutre car ces accords devaient régir la suite des relations entre la Suisse et l’Union européenne sur de nombreux sujets dont certains sont même régaliens.
Les sujets qui fâchent entre la Suisse et l’Union européenne
Parmi les sujets qui posent problème à la Suisse en ce moment et qui font l’actualité :
les accords bilatéraux : quand on sait que les entreprises suisses ont depuis au moins 20 ans des difficultés pour recruter, on peut imaginer que les accords bilatéraux ont une grande importance, par le biais de la libre circulation. En clair, l’économie suisse a besoin de main d’oeuvre pour soutenir son économie, et sa population étant vieillissante, elle ne peut trouver cette main d’oeuvre qu’à l’étranger. Un chiffre pour illustrer le phénomène : en 2025, dans certains cantons, un quart de la population active partira à la retraite.
l’électricité : Guy Parmeltin a déclaré en fin d’année 2021 que les entreprises suisses devaient se préparer à une pénurie d’électricité pendant des semaines, voire des mois, d’ici à 2025. C’est-à-dire demain. Et l’accord sur l’électricité faisait partie des négociations sur l’accord cadre.
la Recherche : en dénonçant les négociations sur l’accord cadre, la Suisse a mis indirectement un terme à sa participation aux programmes de Recherche européens. La Confédération a affirmé pouvoir soutenir le financement des programmes en Suisse qui de facto se retrouvent privés de ressources. Mais le problème n’est pas vraiment là. C’est tout l’écosystème de recherche en Suisse qui pourrait vaciller, car si l’EPFL ou l’EPFZ attirent des stars de la Recherche, c’est aussi parce qu’il y a un écosystème, des infrastructures de recherche et des ressources qui s’y trouvent. Les fragiliser, c’est courir le risque de voir ces stars partir exercer leur art dans d’autres pays. Après tout, la Suisse est le pays le plus innovant au monde depuis des années, mais va-t-il le rester ?
la Défense du pays : en juin 2021, soit peu de temps après la dénonciation des négociations sur l’accord cadre avec l’UE, la Suisse annonce qu’elle choisit les avions de combat F-35 de l’américain Lockheed Martin. Pour sa défense aérienne, le pays tourne le dos à son voisin européen et à un programme d’échange soutenu au profit des américains.
la souveraineté numérique de la Suisse : en avril 2020, le Conseil fédéral dit vouloir mettre en place un Swiss Cloud avec comme objectif d’améliorer la souveraineté de la Suisse en matière de données et de réduire sa dépendance de pays étranger… pour accorder un peu plus d’une année plus tard le projet à un consortium de 4 américains et un chinois, dans l’incompréhension générale. Les acteurs locaux, comme Infomaniak, ne décolèrent pas.
Le scénario des avions de chasse : un modèle d’anti-diplomatie
J’aimerais faire un petit focus sur ce les événements relatifs à l’appel d’offre réalisé pour équiper les avions de chasse suisses. Le gouvernement suisse a fait miroiter à la France l’achat de ses Rafales en entretenant des négociations étroites jusqu’à la fin, alors même que l’avion de chasse américain avait été choisi depuis plusieurs mois sans que cela soit bien sûr annoncé aux négociateurs français.
Ce comportement inhabituel et inexplicable a eu pour conséquence directe une fermeture des relations diplomatiques de haut niveau entre la Suisse et la France.
Des conséquences pour la Suisse sont aussi à prévoir dans cette négociation « ratée » car le deal prévu entre les deux pays prévoyait pourtant deux volets importants : une remise dans la course de la Suisse au sein de la Commission européenne par la présidence française de l’Union européenne et un accord sur la fiscalité des frontaliers qui permettait à la Suisse de bénéficier de plus de recettes fiscales que ce que les accords prévoient actuellement (on parle quand même de 3,5 milliards de recettes supplémentaires).
Tourner le dos à de telles conditions, c’est en soi un signe qui montre que des intérêts financiers supérieurs ou stratégiques se trouvent peut-être ailleurs.
Mais pourquoi la Suisse se détourne-t-elle de l’Union européenne ?
Quand on se repasse le film des événements depuis 2021, il semble difficile d’expliquer les raisons qui ont guidé ces choix, tant certains paraissent aller totalement à l’encontre des intérêts du pays.
On peut toutefois trouver quelques explications dans la manière dont le pays est dirigé, notamment dans l’affaire des avions de chasse : il semblerait qu’il y ait eu une mauvaise communication entre les Conseillers fédéraux en charge des négociations et surtout des divergences de points de vue entre-eux. Dans ce dossier, le fameux consensus helvétique n’aurait pas franchement bien fonctionné.
L’abandon des négociations sur l’Accord cadre est quant à lui probablement à mettre sur le compte d’un coup de poker diplomatique qui aurait mal tourné. En faisant « tapis » face à son principal partenaire économique, la Suisse imaginait pouvoir revenir dans la course malgré tout un peu plus tard.
Mais la raison effective de ces décisions est probablement bien plus pragmatique. Il faut pour cela se pencher sur l’économie du pays et se poser une question simple : « quel est le 2ème partenaire économique de la Suisse ? Les États-Unis ». Dit différemment : vers quel(s) autre(s) pays la Suisse va-t-elle se tourner pour diversifier son économie ?
Le pays de l’Oncle Sam n’est rien moins pour la Suisse que le 2ème partenaire économique après l’Union européenne. Une partie de l’explication se trouve ici. Et il est fort probable que nous entendrons parler dans les mois ou années à venir de renforcement des relations entre la Suisse et les États-Unis sur plusieurs volets.
On peut aussi estimer que la pression mise par l’Union européenne ces dernières années pour que le pays accepte successivement les différentes directives européennes ont probablement pesé dans l’éloignement de la Suisse de l’Union européenne. Car il faut bien imaginer que d’un point de vue du fonctionnement des institutions, la Suisse et l’Union européenne sont aux antipodes l’une de l’autre.
A l’inverse, Suisse et États-Unis sont très proches sur ce point avec un système fédéral et des États très autonomes. La Constitution suisse a d’ailleurs servi de modèle pour la création de la Constitution américaine, ce qui fait que les systèmes politiques des deux pays sont très proches.
On retiendra tout de même que la Suisse, qui cherche vraisemblablement à prendre ses distances vis-à-vis de l’Union européenne est visiblement prête à faire d’énormes compromis sur son indépendance au profil d’une relation plus étroite avec les États-Unis.
Est-ce la fin des relation Suisse Union européenne ?
N’imaginez pas pour autant que ce soit la fin des relations entre la Suisse et l’UE. Disons que la Suisse fait le nécessaire pour se rendre un peu moins dépendante de cet important partenaire économique.
En revanche, les relations risquent de se tendre de manière significative dans les années à venir car presque tous les dossiers qui lient la Suisse et l’Union européenne ou certains de ses pays membres contiennent tous les ingrédients d’une relation explosive : enjeux financiers importants, interdépendance énergétique et démographique. On ne va pas s’ennuyer dans les 5 ans à venir…