Le 26 mai dernier, la Suisse a décidé de mettre fin à plus de 7 ans de négociation avec l’Union européenne au sujet de l’accord cadre. Cette information est loin d’être anecdotique. Elle aura des conséquences probablement très importantes sur les futures relations entre la Suisse et l’Union européenne. Mais qu’est-ce que l’accord cadre ? Je vous présente tout ça dans ce post.
Qu’est-ce que l’accord cadre Suisse-UE ?
L’accord cadre avait pour objectif de préciser et finaliser, sur le plan institutionnel, les relations entre la Suisse et l’Union européenne, actuellement régies par les accords bilatéraux initiés en 1999 et confirmés en 2004.
Comme en 1992 le peuple suisse a refusé d’adhérer à l’Espace Économique Européen, la Suisse a décidé de mettre en place une série d’accords, les accords bilatéraux. Ces accords bilatéraux ont permis à la Suisse d’avoir un accès privilégié à l’Union européenne dans plusieurs domaines, sans pour autant en faire partie.
Les accords bilatéraux fixent en effet le cadre des relations entre la Suisse et les pays de l’Union européenne dans plusieurs domaines et notamment les relations commerciales, les transports, la libre circulation des personnes, la formation ou encore la recherche.
Vu de l’Union européenne, les accords bilatéraux était une étape provisoire qui résultait du refus d’adhérer à l’Espace Économique Européen. Cette étape « provisoire » a par ailleurs duré plus de 20 ans.
Vu de Suisse, le pays ayant pour partenaire économique principal l’Union européenne, la conclusion de tels accords était très importante pour ne pas voir la Suisse exclue d’un marché important et pénalisée dans ses échanges économiques. L’enjeu était bien sûr d’avoir un accès facilité au marché unique européen.
En un peu plus de 20 ans, ce sont au total plus de 120 accords bilatéraux qui ont été conclus entre la Suisse et l’Union européenne.
L’intérêt d’avoir un accord cadre s’est rapidement fait ressentir pour apporter une forme de cohérence à tous ces accords et pour que les futurs accords puissent être plus facilement conclus. Cet accord cadre devait également permettre de mieux gérer les relations institutionnelles entre la Suisse et l’Union européenne.
Pourquoi les négociations ont échoué
Les négociations entre la Suisse et l’Union européenne pour la mise en place de cet accord cadre ont débutées en 2014. Après 7 ans de pourparlers, la Suisse y a unilatéralement mis un terme alors même que l’Union européenne a montré, sur la plupart des sujets posant problème, une ouverture à la négociation, voire des solutions. On a clairement eu le sentiment que plus l’UE faisait un pas vers la Suisse dans les négociations, plus la Suisse se fermait. De mémoire de relation Suisse Union européenne, c’est un comportement assez inhabituel pour qu’il soit souligné.
Les principaux points de divergences concernaient les sujets suivants :
La protection des salaires et des salariés en Suisse
L »accord cadre prévoyait la mise en place de directives sur le travail détaché qui faisait très peur aux syndicats, qui voyaient dans ces directives un gros risque de dumping salarial. Tout le monde y était opposé, et notamment les syndicats suisses. Là aussi, l’UE a ajouté des textes à la directive permettant de rassurer les Syndicats et d’atténuer leurs craintes.
L’agacement de l’Union européenne
Des négociations aussi longues, ça use. Surtout, la Suisse a objectivement très bien négocié les accords bilatéraux à l’époque et bénéficiait, aux yeux de Bruxelles, de nombreux avantages sans avoir les contraintes. Selon les experts, la Suisse a pu bénéficier de la quasi intégralité des avantages des pays adhérents à l’Union européenne.
La peur du tourisme social
L’accord cadre prévoyait la mise en place de la directive sur la citoyenneté européenne, qui autorise les ressortissants de l’UE et les membres de leur famille à circuler librement dans tous les pays concernés par l’accord. L’idée sous-jacente, c’est que n’importe quel citoyen européen bénéficie sur ce point des mêmes droits que les résidents. Ce qui aurait accordé aux ressortissants européens un droit beaucoup plus important que celui accordé par les accords bilatéraux.
La peur de la Suisse est ici de voir s’envoler les coûts de l’aide sociale pour des ressortissants européens nouvellement installés. A titre d’exemple, un ressortissant étranger qui travaille au moins un an en Suisse et se retrouve au chômage bénéficie de 6 mois d’assurance chômage. Avec la directive sur la citoyenneté européenne, l’aide aurait été d’au moins une année. La Suisse voulait exclure cette directive, et l’UE n’y était toutefois pas opposée.
La souveraineté de la Suisse
L’accord cadre prévoyait la mise en place d’un tribunal arbitral international pour régler les éventuels différends entre la Suisse et l’Union européenne. Même si ce Tribunal devait être composé d’un juge européen, d’un juge suisse, et d’un juge nommé par la Suisse et le pays européen concerné, la Suisse a vu dans cette mesure une perte de souveraineté.
Mais de manière plus générale, le fonctionnement institutionnel de la Suisse (pays fédéral, décentralisé, avec une large autonomie des cantons) et de l’Union européenne sont très différents et s’opposent fondamentalement sur de nombreux sujets.
Les conséquences : le flou et un durcissement des relations
Suite à cet abandon des négociations, il est peu probable que l’Union européenne accepte que les accords existants soient mis à jour ni même que d’autres accords soient mis en place.
On est donc dans une situation de gel qui ne pourra probablement pas tenir très longtemps compte tenu des évolutions économiques à venir ou des évolutions institutionnelles des deux côtés. Les accords bilatéraux actuels sont donc probablement voués à disparaître.
On ne sait concrètement pas ce qu’il va se passer ensuite. Il est quasi-certain que l’Union européenne fixera des règles douanières pour l’importation dans l’Union européenne des produits suisses.
En 2014, lorsque le peuple suisse avait accepté par referendum une limitation de l’immigration avec le risque que la loi qui en découle aille à l’encontre de la libre circulation des personnes, l’UE avait écarté la Suisse pendant 2 ans des programmes de Recherche européens et d’Erasmus.
Sur le simple sujet de la Recherche, cette décision peut avoir beaucoup de conséquences : moins d’entreprises qui s’implantent en Suisse (et donc moins de bénéfices économiques), une aura moins importante de la place suisse pour ce qui concerne la R&D etc.
Une électricité qui coûtera plus chère à l’avenir
Sur des sujets plus « terre à terre », mentionnons l’électricité. La Suisse fait la liaison entre les pays du Nord de l’Europe et les pays du Sud pour l’acheminement de l’électricité. Pour réguler la participation de la Suisse au marché européen de l’électricité, des négociations ont été initiées en 2007. Concrètement, tout est lié, et la Suisse est aujourd’hui dépendante de l’Union européenne pour l’importation et l’exportation d’électricité, et l’UE en est dépendante également dans une moindre mesure.
Une absence d’accord sur ce sujet a pour conséquence un risque accru d’approvisionnement pour la Suisse, et ce d’autant que la Suisse a renoncé à son énergie nucléaire.
Ces négociations sur l’électricité ont été menées à leur terme, mais il manquait cet accord cadre, indispensable pour finaliser la signature. Et l’UE a été ferme sur ce point : sans accord cadre, pas d’accord sur l’électricité. Au final, on estime que cela coûtera à la Suisse 120 millions de francs par an, probablement à la charge des contribuables, soit directement sur la facture, soit indirectement par les impôts.
La Medtech victime de la fin de l’accord cadre
Autre conséquence concrète et immédiate : les sociétés suisses actives dans le matériel médical et les technologies médicales (Medtechs) qui exportent pour plus de 5 milliards de francs suisses vers l’UE : sans l’accord cadre et avec un durcissement de la règlementation européenne sur les dispositifs médicaux, elles n’ont plus l’autorisation de vendre aux pays de l’Union européenne et doivent donc recourir à un système de mandataires. Surcoût estimé pour les 350 entreprises suisses du secteur : 100 millions de CHF et une perte de compétitivité car ces dépenses auraient pu servir pour la R&D…
Alors la Suisse, perdante ou gagnante ?
Mon sentiment, c’est que dans cette histoire, tout le monde est perdant. La Suisse fait un pas vers l’isolement, et l’UE voit ses relations avec un partenaire important se déliter (le 4ème partenaire économique quand même). Les accords bilatéraux, s’ils sont dénoncés, vont causer beaucoup de mal sur le plan économique. Les entreprises suisses qui ont pour certaines déjà du mal à recruter, auront davantage de difficulté quand la libre circulation ne sera plus.
Bref, on rentre dans une grosse zone d’incertitude dans les relations entre la Suisse et l’UE, et personne, mais alors personne n’aime l’incertitude…
Verdel says
Vous avez tout faux
Les accords cadre c’est la fin de la démocratie semi directe donc la fin de la Suisse.
Vos prévisions pessimiste s pour le futur du fait de la rupture des négociations avec l’´UE dont les mêmes que celles avancées par M . Delamuraz en 1992. On s’a vu ce qui s’est passé ensuite.
Jamais le peuple suisse n’acceptera une adhésion .
David Talerman says
Merci pour votre commentaire !
En effet les prévisions de M. Delamuraz étaient plutôt alarmistes et décalées par rapport à ce qu’il s’est passé ensuite.
Mais une situation sans accord bilatéraux, on la connait bien, c’est celle qui avait lieu avant qu’ils soient mis en place.
Lourdeur et difficulté du recrutement, perte de réactivité des entreprises suisses etc… Les entreprises suisses n’arrivent actuellement pas à recruter (et depuis la mise en place des accords) alors sans accord…
Si la croissance économique de la Suisse a été très importante depuis la mise en place des accords, il y a probablement un lien 🙂
Sebastien says
Je suis d’accord avec analyse. Je ne comprends pas cet abandon unilatéral (qui ne ressemble pas trop au pragmatisme Suisse). Peut être une conséquence du Brexit (la Suisse ayant l’impression d’être mois bien lotie que l’accord obtenu par le Royaume Uni).
L’UE et la Suisse seront perdants. Par ailleur, les discussions actuelles au G7 de taxation à 15% des entreprises risque de rendre moins attractive la Suisse.
Je crois cependant en la capacité à l’UE et à la Suisse de trouver un chemin vers une coopération win/win.
Didier says
Merci pour beaucoup David pour cette explication simple et concise.
David Talerman says
Avec plaisir !