Sophie est infirmière et Marc est informaticien. Ils sont sans enfant, et viennent tous les deux de région parisienne. Ils m’ont contacté sur mon blog en me faisant part de leurs difficultés à trouver un emploi alors qu’ils étaient frontaliers. Leur témoignage est très intéressant car il montre pourquoi trouver un emploi en Suisse peut être difficile quand on est frontalier, même lorsqu’on a des métiers recherchés. Leur expérience, sans être à généraliser, marque une tendance marquée depuis plusieurs mois : la préférence de certaines entreprises pour le recrutement de travailleurs locaux.
Combien de temps êtes-vous resté frontalier ?
On a été frontalier pendant 7 mois, je sais c’est peu mais on a dû s’adapter a la situation.
Depuis combien de temps êtes-vous résident en Suisse ?
Ça fait 10 jours maintenant.
Dans quelles circonstances avez-vous décidé / eu l’opportunité de travailler en Suisse la première fois ?
J’ai le livre « Travailler et vivre en Suisse » et nous avons assez rapidement décidé moi et mon mari de venir nous installer a Annemasse afin de travailler a Genève. Il y a 8 mois nous avons quitté nos emplois respectifs pour nous installer a Annemasse. On se disait que vu que la Suisse affiche le taux de chômage le plus faible au monde (plein emploi) que l’on allait trouver très rapidement un emploi.
Or, 7 mois après notre arrivée c’était la douche froide. Les employeurs nous faisaient comprendre que si l’on voulait le job il fallait que l’on accepte d’être résident en Suisse. Dans la plupart des annonces que mon mari voulait postuler il était écrit « Résident(e) Suisse (ou prêt(e) à venir s’établir en Suisse », il a décroché trois entretiens mais deux potentiels recruteurs ont demandé lors des entretiens qu’il devienne résident Suisse s’il voulait le poste (alors que rien n’était écrit dans l’annonce). Pour moi c’est plus ou moins le même scénario. On a discuté avec un voisin frontalier qui nous a dit que depuis quelques mois beaucoup d’employeurs ferment la porte aux frontaliers Il a noté un gros changement qui s’est opéré depuis le début de l’année. Mon mari a donc décidé d’accepter un poste intéressant qui exigeait d’être résidant Suisse. On s’est donc installé il y a 10 jours sur Nyon. Me concernant, tout s’est débloqué quand j’ai signifié à des potentiels employeurs que j’allais bientôt être résidente, j’ai décroché comme par magie deux entretiens et je viens de signer mon premier contrat de travail Suisse 🙂
Quels souvenirs gardez-vous de votre vie de frontalier, qu’est-ce qui vous a le plus marqué / surpris / plus / embêté ?
Un très mauvais souvenir dans la mesure où l’on n’arrivait pas a trouver de travail a cause de notre statut de frontalier. On était sous pression car on voyait nos économies fondre comme neige au soleil.
Qu’est-ce qui vous marque / surprend/ plait / déplaît le plus dans votre vie de résident ?
Difficile de dire vraiment, on a pas encore assez de recul, ça fait que 10 jours que l’on vit en Suisse. Mais déjà on peut dire que l’on se plait beaucoup plus a Nyon qu’a Annemasse. Nyon est vraiment une ville très agréable a vivre et surtout je peux profiter du lac tous jours.
Aussi, j’apprécie le fait que les villes en Suisse ont des systèmes de transport public très bien développés et très efficaces. De Nyon, on peut très rapidement en train aller à Genève/Lausanne par exemple, ou bien même a la Givrine dans le Jura (on y est allé ce weekend pour une petite balade). On a donc pris la décision de vendre notre voiture. Mon mari travaillant a Genève et moi bientôt a Morges, on en a plus besoin. Quand on est frontalier on est obligé d’avoir une voiture, voire deux si le couple travaille et les horaires ne sont pas compatibles. On va faire une belle économie de ce coté là.
Enfin, le point le plus important c’est que grâce à notre statut de résident on peut travailler en Suisse. Il n’y aura plus de discrimination a l’embauche et je pense que l’on devrait être mieux intégrés au travail que si l’on était frontalier.
Si vous avez une famille, est-ce que tous les membres de la famille ont vécu cette nouvelle vie de la même manière ?
On n’a pas encore d’enfants mais mon mari le vit de la même façon que moi. D’ailleurs, il voulait au départ s’installer directement en Suisse, mais sans contrat de travail il aurait été impossible d’avoir un logement.
Pour finir, qu’est-ce qui vous plait le plus : votre vie de frontalier ou votre vie de résident ?
Notre statut de résident sans hésitation même si ça été douloureux pour en arriver là. On se dit que c’était un bien pour un mal le fait que l’on soit obligé de résider en Suisse pour travailler.
Note : les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat
Séverin DEL says
Je suis fort aisie de constater que certains frontaliers ontle courage d’aller jusqu’au bout de la logique : travailler en Suisse, oui mais en ce cas il faut habiter en Suisse !
Car si votre blog parle régulièrement du « french bashing » que pratiquent les suisses, il serait interessant de se pencher également sur la vision que les français qui travaillent en France (avec des salaires français) peuvent avoir de leurs très condescendants compatriotes frontaliers.
Il y a depuis quelques années une libération de la parole de ces derniers vis-à-vis des frontaliers vivants en Haute-Savoie et pas dans le bon sens.
David Talerman says
C’est vrai, c’est aussi un sujet. Mais je vois pas en quoi les frontaliers seraient condescendants. Pas de généralités s’il vous plait !
Séverin DEL says
Loin de moi l’idée de procéder par généralité. J’avais fourni quelques exemples vécus dans la suite de mon commentaire, mais ils se sont perdus dans les limbes du net. Ce sont souvent quelques petites réflexions – inconscientes sans doute – mais qui finissent par être très mal perçues :
* Les plaintes quasi-systématiques quand à la CMU (les salariés et plus encore les indépendants cotisent aussi pour la SS et sont moins bien couverts)
* Les clients frontaliers qui demandent des rendez-vous le samedi ou le soir à 19h30 parce que « eux ils travaillent » (en revanche moi je peigne la girafe)
* La Rex Ultima Ratio qui consistent à dire que si c’est si bien nous n’avons qu’à venir travailler en Suisse (tous les professionnels ne le peuvent pas par choix ou de par leur formation)
David Talerman says
Ce que vous dites n’est pas exact : la couverture de la CMU n’est pas meilleure que celle des salariés français, tout au plus des accords ont été trouvés sur le choix du praticien en cas de suivi médical entre les deux pays pour certaines pathologies.
Encore une fois, vous avez vécu ces événements, certes, mais ça n’en fait pas une généralité ! Votre vision est terriblement déformée. Ces attitudes et ces cas existent, mais je crois qu’il est temps d’arrêter de croire que c’est le cas de la majorité des frontaliers. On en voit que la minorité visible, celle qui fait le plus de bruit et qui nous agace.
La réalité est toute autre…
Séverin DEL says
Avec des salaires 3 à 4 fois supérieurs à la France à qualification égale (j’ai arrêté de recenser les salaires annuels à 6 chiffre parmi mes clients), le train de vie des frontaliers fait monter en flèches les prix de l’immobilier comme de la vie courante.
Ceci finit par poser des difficultés économiques certaines.
Je ne compte plus les artisans qui me disent rencontrer des déifficultés pour recruter de salariés ou qui ont un turn-over de personnel important (salarié partant en suisse au bout de un a deux ans)
Autre exemple : nombre d’infirmières formées à l’IFSI d’Annecy partent directement au HUG et le CHANGE est obligé de recruter à l’étranger !!!
D’autre part, de nombreux emplois peu qualifiés ne trouvent plus à se loger au regard du montant des loyers (500 à 600 € pour un studio…) amplifiant la crise du recrutement notamment dans le commerce et le restauration
Il est devenu très difficile de devenir propriétaire sur les bassins des grandes agglomérations (500.000 à 700.000 € pour une maison à Annecy, 350.000 à 600.000 € pour un T4), repoussant les travailleurs locaux à plusieurs dizaines de kilomètres de leur lieu de travail, ajoutant ainsi à l’ngorgement d’un réseau routier inadéquat.
David Talerman says
Bonjour Séverin,
C’est vrai : ce sont deux conséquences concrètes qui posent problème localement. Et cela fait des années que cela dure.
Séverin DEL says
Et on ne parle pas de l’attitude de certains frontaliers qui louent le modèle suisse et critiquent les salariés français « fainéants » aux 35 heures et aux 2 semaines de RTT.
Je ne compte plus le nombre de fois où refusant de fixer un rendez-vous un samedi matin ou à 19h30 et proposant un horaire plus tôt dans la journée, le client frontalier m’a répondu « mais je travaille, moi » (des fois que personnellement je peigne la girafe pendant mes journées !)
Je ne compte plus le nombre de plaintes – insupportables à entendre pour un professionnel indépendant français qui paie largement plus – à l’égard de la CMU que les frontaliers sont « obligés » de payer … mais qui se font soigner en France.
En réalité on peut s’interroger sur la myopie de certains frontaliers qui n’auraient même plus conscience de leur situation terriblement avantageuse en regard de celles de leur compatriotes
De même, à se demander parfois si l’image dégradée qu’ont les suisses des français n’est pas plutot celle du frontalier suffisant et méprisant nabab en son pays.
David Talerman says
C’est toujours le même problème : vous ne pouvez pas coller une étiquette sur une communauté complète à cause de certains qui n’ont pas la bonne attitude ou les bons mots.
Que les français soient râleurs, ça je le conçois 🙂 Que leur situation soit avantageuse : peut-être pour certains, mais on oublie souvent le revers de la médaille (par exemple, en France, le droit du Travail est très protecteur pour les salariés, ce qui n’est pas le cas en Suisse, ou encore les trajets). L’individu est fait de telle sorte qu’il a tendance à fantasmer une situation, sans en voir les inconvénients (l’herbe est toujours plus verte ailleurs). C’est dommage, et il faudrait que les individus se mettent dans la peau de ceux dont ils parlent !
Séverin DEL says
Ce n’est pas un fantasme c’est bien une réalité.
Un droit du travail protecteur oui, mais pour des emplois qui ne permettent plus de vivre dans la régionet pour les salariés seulement.
En outre si les emplois étaient si précaires en Suisse, il n’y aurait pas 12% de la population haut-savoyarde qui irait y travailler.
Faut-il rappeler également que POLE EMPLOI indemnise les frontaliers licenciés qui n’y ont jamais cotisés ?
Dois ajouter l’imposition sur le revenu à hauteur de 14,5% en moyenne en France pour 10% en Suisse, les cotisations sociales (toutes confondues y compris CMU) largement inférieures à la France ?
Quant aux trajets c’est un argument fallacieux. Il suffit juste de s’expatrier en Suisse…
Après tout la Suisse prospère grâce à la main d’oeuvre, formée à l’aide des deniers français, elle devrait accueillir cette main d’oeuvre sur son sol.
Ou alors dirigeons nous vers une surimposition des revenus perçus à l’étranger en zone frontalière. Cela éviterait la fuite de main d’oeuvre (notamment en matière médicale et artisanale) en rendant moins rentable le travail frontalier et permettrait de financer le surcoût pour adapter les infrastructures communes (routières et ferroviaires en autres) nécessaires aux déplacements frontaliers.
Allez j’arrête de me faire l’avocat du Diable
David Talerman says
Je pense que vous attribuez aux frontaliers des maux dont ils ne sont pas responsables. Si les charges sont moins élevées en Suisse qu’en France, et si les salaires sont plus élevés en Suisse qu’en France, c’est du côté des gouvernements successifs qu’il faut chercher les coupables.
Sur-imposer les revenus perçus à l’étranger, aurait pour conséquence immédiate l’expatriation de ceux qui en ont les moyens, et une précarisation de ceux qui n’en ont pas. N’oubliez pas qu’une part non négligeable de frontaliers ont des emplois précaires, et eux n’ont droit à aucune aide.
Nous vivons dans un monde global, où chaque état fait sa propre politique fiscale, et la France a choisi de sur-taxer ses PME et sa classe moyenne… C’est un choix qui supporte très mal la comparaison avec le modèle suisse. Et nous en sommes tous victimes.
Après tout, à une époque, c’était les suisses qui venaient travailler en France. Depuis des décennies, c’est l’inverse… Pourquoi ?
Séverin DEL says
A bien y regarder, certes le travail frontalier crée sans doute de l’emploi en Haute-Savoie, mais il est aussi vecteur de gros problèmes financiers et sociaux existants ou à venir.
Il s’agit en ce qui me concerne d’un constat objectif ne rencontrant (par chance) pas de difficultés économiques
Le pire est le Rex Ultima Ratio opposée systématiquement en cas de débat : « si c’est si bien tu n’as qu’à venir travailler en Suisse ».
Sauf que tous les professionnels ne peuvent pas, soit par du fait de leur formation, soit par choix.
Et, Mesdames et Messieurs les frontaliers, vous êtes bien contents de trouver à côté de chez vous un médecin pour vous soigner, une nourrice qui garde vos gamins quand vous partez à 6 h, un plombier / peintre / carreleur pour entretenir vos maisons, un avocat pour vous divorcer, un cuisinier / serveur quand vous allez au resto… avec des prix défiants finalement toute concurrence au regard de vos salaires.
Peut être qu’un jour on finira par dire « heureux comme un frontalier en France »
Ou alors allez jusqu’au bout de la logique et faites comme Sophie et Marc : installez vous à Genève.
Séverin DEL says
Les écarts de salaires et leur conséquences sont tels que les plaintes deviennent inaudibles.
La situation des frontaliers est ultra-avantageuse qu’on se le dise et il n’est pas possible d’avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière avec.
Sans doute dira-t-on un jour « Heureux comme frontalier en Haute-Savoie ».
Donc je ne peux que louer la démarche des expatriés qui s’installent en Suisse.
David Talerman says
Tout est question de référentiel : par rapport aux personnes vivant et travaillant en France, les frontaliers sont en général effectivement moins à plaindre. Par rapport à des personnes vivant au Maghreb, les personnes vivant et travaillant en France sont ultra-privilégiées. Après, ce qui peut agacer, c’est qu’on se plaigne. Ok ça je l’entends.
Mais je sens quand même beaucoup de rancœur dans vos propos.
Séverin DEL says
Rancoeur et jalousie totalement assumée…
Huit ans d’études, 20 ans de profession à 50h / semaine sans jamais avoir démérité pour une rémunération 2 fois inférieure à un bac +2 frontalier, il y a de quoi vivre ça comme une injustice, non ?
David Talerman says
Je comprends parfaitement votre rancoeur, Séverin. Mais là aussi, c’est encore le fonctionnement du système qui est en cause. En effet, on le sait, la France est un pays « diplômant » (il suffit de regarder d’où viennent les dirigeants du pays pour comprendre pourquoi). Sans formation supérieure en France, vous n’existez pas. Et on veut vous faire croire que parce que vous faites des études, vous avez le droit de demander un meilleur salaire (ou d’avoir un job). Le diplôme, ce serait un peu le passeport, le blanc-seing, le sésame qui permet d’accéder à un job. L’erreur vient de là.
En Suisse par exemple, moins de 30% des salariés ont fait des études supérieures, et la majorité ont fait de l’apprentissage (un gros mot en France, si vous faites de l’apprentissage, c’est que vous êtes probablement en échec dans l’esprit commun). J’aime bien dire qu’en France on vous forme à un diplôme, en Suisse on vous forme à un métier.
Or, je n’ai pas l’impression que l’économie suisse fonctionne moins que la française 🙂
En clair, vous vous heurtez à la culture, mais je comprends vraiment votre désarroi car vous n’y pouvez rien. Encore une fois, les politiques qui se succèdent depuis 60 ans et qui insufflent ce mauvais courant sont responsables…