Beaucoup d’idées reçues circulent à propos du marché de l’emploi en Suisse, et il est souvent difficile de savoir s’il s’agit de rumeurs ou de vraies informations : les entreprises suisses ne recrutent plus d’étrangers, les sociétés rechignent à recruter des seniors en Suisse, les candidatures spontanées ne servent à rien, le marché caché est très important en Suisse…
Une étude du cabinet Von Rundstedt, réalisée auprès de recruteurs et professionnels RH dans toute la Suisse (Suisse romande, Suisse alémanique et Tessin) permet d’y voir beaucoup plus clair. Voici une sélection personnelle d’idées reçues issues de cette étude, avec les conséquences à en tirer sur votre recherche d’emploi en Suisse.
Le marché caché est important en Suisse
Plutôt vrai
Avant de connaître les chiffres de cette étude, j’estimais à 80% le pourcentage d’offres d’emploi qui n’étaient jamais publiées et donc jamais visibles par les candidats en recherche d’un emploi en Suisse (on appelle aussi également ceci le marché gris). Si les chiffres fournis ne permettent pas de donner un chiffre plus précis, ils sont cependant très intéressants :
- Près d’un tiers des entreprises suisses publient moins de 50% des postes qui sont ouverts
- Un peu plus de 10% publient entre 50 et 75% des postes ouverts
- Un peu plus de 22% publient pour leur part entre 75% et 90% des postes ouverts
- Mais la proportion la plus importante est celle des entreprises qui publient plus de 90% de leurs postes (plus de 35% des entreprises)
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi en Suisse : globalement, on peut estimer qu’un nombre important d’offres d’emploi ne sont jamais publiées. Ces postes sont en général pourvus soit en interne, soit en externe par une démarche de type réseautage. Un candidat qui n’exploite pas son réseau physique part donc avec un handicap certain. Il semble par ailleurs plus que probable que le nombre d’opportunités d’emploi du marché caché augmente à l’avenir.
Les recruteurs suisses préfèrent recruter des profils locaux plutôt qu’étrangers
Vrai, mais…
Pour un profil similaire, les professionnels RH en Suisse sont près de 80% à dire préférer recruter un talent local plutôt qu’étranger, ce qui est tout à fait logique. Mais la réalité du marché rattrape les recruteurs, et la préférence nationale n’est pas si simple que cela à appliquer, puisque plus de 80% d’entre eux estiment que la pénurie de talents est importante en Suisse. Quand on centre la question sur leur propre entreprise, ils ne sont plus que 60%, ce qui est déjà un pourcentage important. Enfin, plus de 80% estiment que la nouvelle loi sur l’obligation d’annoncer les postes vacants ne permettra pas d’atténuer cette pénurie.
Pour finir, la mobilité interne en Suisse est très faible.
En clair, il n’y a pas assez de professionnels disponibles sur le marché, et même s’ils préfèreraient recruter des locaux, le recrutement en dehors des frontières semble inévitable dans beaucoup de cas.
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi : les entreprises suisses le disent depuis de nombreuses années : elles n’arrivent pas à recruter les profils qu’elles veulent. Les raisons sont multiples, et les moyens de parer cette pénurie semblent légèrement évoluer ces dernières années, avec un recours moins important à la main-d’œuvre étrangère. Quoi qu’on en dise, les entreprises suisses restent très fortement dépendantes du recrutement d’étrangers, et ce d’autant que la mobilité interne en Suisse est très faible. En tant que candidat étranger, il faut donc intégrer dans sa recherche d’emploi que le fait de ne pas être Suisse ou sur place rendra la recherche d’emploi plus difficile et donc probablement plus longue. Il est également important de bien comprendre que les entreprises suisses ont accès à des candidats étrangers d’excellente qualité, et que la concurrence sera donc en général forte.
Le certificat de travail est un document important pour les recruteurs en Suisse
Vrai (pour une moitié de recruteurs !)
Le certificat de travail en Suisse est document qui permet d’évaluer qualitativement et quantitativement un candidat. C’est une véritable institution qui semble pourtant avoir un peu de plomb dans l’aile, car si le certificat de travail est utilisé (et donc demandé) par les recruteurs dans 73% des cas, il n’est pris en compte dans le recrutement que dans 55% des cas.
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi : beaucoup de PME suisses qui recrutent n’ont pas forcément les ressources RH nécessaires pour analyser finement un certificat de travail, ce qui pourrait expliquer le fait que le certificat ne soit pas totalement utilisé dans le processus de recrutement. L’internationalisation du marché de l’emploi en Suisse provoque également probablement des changements d’habitudes. Même si son importance semble se réduire dans le recrutement, près de la moitié des recruteurs y recourent. Il est donc primordial de soigner ces certificats quand on a une expérience préalable en Suisse.
Les employeurs ont presque systématiquement recours à la prise de référence pour évaluer un candidat
Vrai
Une fois les 1ers barrages passés, les recruteurs qui s’intéressent à un candidat vont presque systématiquement prendre des références auprès de personnes l’ayant côtoyé, principalement professionnellement. Cette prise de référence pour l’évaluation du candidat est importante pour plus de 90% des recruteurs interrogés.
Les résultats de l’étude mettent en avant en revanche un résultat très problématique puisqu’il va potentiellement à l’encontre de la loi : pour 60% des recruteurs, la prise de référence sans autorisation préalable est un critère important pour le recrutement d’un candidat. En effet, prenons le cas d’un candidat qui envoie un CV avec la mention de ses références (sans les coordonnées). Le recruteur a dans ce cas l’obligation de demander formellement au candidat l’autorisation de contacter ces personnes.
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi : la pratique de la référence n’a pas pris une ride et est lourdement imprégnée de la culture suisse et de l’importance du groupe (pour ceux qui veulent des précisions sur cet aspect, je vous renvoie à mon livre « Travailler et vivre en Suisse »). La prise de référence non consentie, dont je connaissais la pratique, est visiblement plus répandue que ce que j’imaginais. Dans les deux cas, le message est clair : soignez votre réputation et vos relations professionnelles, ou votre recherche d’emploi en Suisse risque d’être plus difficile et longue que prévu.
Pour être sélectionné à un entretien, le profil du candidat doit parfaitement coller aux exigences du poste
Vrai, pour une majorité d’entreprises
Pour près de 60% des recruteurs, il faut que le profil d’un candidat ou d’une candidate corresponde à au moins plus de 75% pour qu’il ait une chance d’être sélectionné à un entretien. 30% des entreprises ont une approche plus souple, puisqu’elles se contentent d’un candidat remplissant 51 à 75% du profil attendu du poste. Enfin, 10% des entreprises sont à l’inverse ultra-sélectives puisqu’elles ne sélectionneront un candidat pour un entretien que si 90% au moins de son profil colle avec le poste.
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi : beaucoup d’entreprises suisses ont certes du mal à recruter, mais elles n’ont pour autant pas l’intention de dégrader leurs critères de recrutement. C’est un paradoxe, qui pourrait s’expliquer par le fait qu’elles sont habituées à avoir accès à des profils plutôt qualitatifs d’une part, et d’autre part parce que les exigences qualitatives de la société imposent.
A profil égal, on préférera recruter un candidat jeune plutôt qu’un candidat senior
A moitié vrai
Si deux profils, un senior et un plus jeune, sont de niveau similaire et en compétition sur un poste, 48% des recruteurs affirment accorder la préférence au senior. Par ailleurs, si le profil du senior est légèrement moins intéressant que le profil du candidat plus jeune, 20% des recruteurs accorderaient la préférence au profil senior pour des raisons éthiques.
Ce qu’il faut en retenir pour votre recherche d’emploi : on est loin d’une idée répandue selon laquelle les seniors sont systématiquement écartés au profit des plus jeunes. Si à l’évidence, la recherche d’emploi d’un senior est plus difficile que celle d’un profil plus jeune, un recruteur sur deux accorde sa préférence à un senior en cas de compétition avec un profil plus jeune. Ce résultat est clairement à nuancer selon le métier et/ou le secteur d’activité, mais il est plutôt encourageant.
Vous retrouverez plus de détails sur cette étude sur le site Travailler-en-Suisse.ch.
Et vous, quelles sont votre perception et votre expérience du marché de l’emploi en Suisse ?
KILANI says
Bonjour, Je suis un ingénieur marocain diplômé d’une école d’ingénieur marocaine. Cette année, je poursuis mes études en France . J’aurais un Master M2 en Finance . A le fin de cette année, je veux bien travailler en Suisse. Je suis spécialiste en Business intelligence/Big Data, de plus la finance puisque je poursuis mon master en ce Domaine. Je suis intéressé par le travail en Suisse. Pensez-vous que j’aurais des chances pour décrocher un emploi en Suisse , sachant que la Suisse préfère embaucher les ingénieurs locaux et ceux de l’UE, et non pas ceux des pays tiers.
Merci d’avance pour votre réponse
Elodie says
Je m’appelle Elodie. J’ai 33 ans et suis actuaire. Je travaille en Allemagne depuis 6 ans.
Je suis très motivée de travailler en Suisse.
L’idée de travailler dans un autre pays étranger et de voir d’autres systèmes assurantiels m’a beaucoup séduite. Le côté international est, pour moi, aussi important. Mon beau-frère fait sa promotion à l’ETH. Du coup, c’était aussi un moyen de se rapprocher de la famille:) J’ai postulé principalement à Zürich et passé 6 entretiens. Je n’ai jamais été retenue.
Les raisons qui, m’ont été expliquées, sont les suivantes:
– Nous préfèrons prendre quelqu’un de l’ETH et qui est déjà en Suisse (plus de sécurité pour eux),
– Un junior serait mieux adapté au poste (coûte moins cher. J’ai 10 ans d’expérience en actuariat: Pech gehabt!)
– On a pourvu le poste en interne…
– On 8 autres candidats de notre réseau à interviewer…
Elodie says
La suite…
J’ai passé 4 entretiens en Allemagne et j’ai reçu 3 contrats dans ma boite aux lettres.
Du coup, je confirme que le marché suisse (du moins dans le domaine de l’actuariat) est très fermé et pas très innovatif! Je suis très déçue. J’ai investi beaucoup de temps et était tellement motivée!
Les suisses (que j’ai rencontrés) sont, aux premiers abords, très sympathiques et souriants. Cependant, ils sont très « entre eux », discutent beaucoup, réfléchissent. ça dure et dure…
Le suisse allemand est aussi un bon plus.
Néanmoins je suis toujours motivée de travailler là-bas… Alors si vous avez des pistes… sehr gerne:)
David Talerman says
Merci Elodie pour ce retour d’expérience.
Effectivement, il est dans la culture de peser le pour et le contre, de prendre le temps de la réflexion, de savoir si on peut faire confiance etc. Entre temps, certains pays répondent du coup plus rapidement.
Le côté positif, c’est que vous avez trouvé du travail, et que c’est une expérience positive de plus le jour où vous voudrez travailler en Suisse !
Charly says
Bonjour Monsieur,
Je voulais savoir si, en Suisse, les employeurs accordent une place prépondérante au fait que le candidat pour un poste disposent du / des diplômes nécessaires ou bien se disent ils « diplômes ou non, si le candidat embauché fait l’affaire je ne me formalise pas là dessus » ?
J’évoque ce sujet car, en France, il y a des postes (et je n’évoque même pas la médecine !) ou le fait de ne pas avoir le « bon diplôme » interdit l’idée même de se porter candidat…
Cordialement
David Talerman says
Bonjour Charly,
Pour certains métiers (ingénieurs…) le diplôme est nécessaire bien sûr. Mais de manière générale, on accordera plus d’importance ici à votre expérience, votre savoir-faire, qu’à vos diplômes. C’est un des aspects de la Suisse que j’adore, en opposition à la France ou sans diplôme vous n’existez pour ainsi dire pas.