Maître David Dana est un avocat établi à Paris, spécialisé dans le contentieux bancaire et financier. Il conseille et accompagne plusieurs clients frontaliers dans leurs contentieux contre des banques de frontaliers ayant commercialisé des prêts en franc suisse. Il nous explique dans une interview ces affaires.
Dans plusieurs affaires récentes opposant le Crédit Agricole à des clients frontaliers, la Cour d’appel de Metz a annulé des prêts en devises, obligeant ainsi la banque à rembourser les intérêts et à prendre en charge le différentiel de change entre la souscription du prêt et sa conclusion.
David Talerman : Maître Dana, pourriez-vous en quelques mots nous commenter cette affaire ?
Les prêts en franc suisse se sont révélés être des prêts toxiques compte tenu de l’appréciation de 60 % environ du franc suisse par rapport à l’euro sur une période de 10 ans et de la réalisation du risque de change qui est supporté seul par l’emprunteur.
De nombreux emprunteurs ont ainsi assigné leurs banques devant les tribunaux français afin de contester la validité et les effets négatifs de ces prêts. Les prêts en devise peuvent être des prêts à taux fixe ou variable avec indexation sur le Libor franc suisse. Ils peuvent être également des prêts structurés avec une opération sur produits dérivés, des swaps de taux, des contrats d’option, etc.
Il peut exister en conséquence plusieurs risques : le risque de change et le risque de taux.
Le contentieux qui nous intéresse ici est le cas où des banques françaises ont commercialisé auprès de particuliers français résidant en France des prêts libellés en franc suisse remboursables en franc suisse. Par une série d’arrêts rendus le 6 avril 2017, la Cour d’appel de Metz a jugé que si le contrat de prêt est un contrat interne, sans aucun lien d’extranéité, il ne peut pas être remboursé dans une devise étrangère à celle en vigueur dans l’Union européenne.
Les faits étaient les suivants : le prêteur était une banque française, l’emprunteur était un résident français, le prêt était affecté au financement d’un bien immobilier situé en France, les fonds était mis à disposition en France et les remboursements devaient s’effectuer en France.
Le contrat de prêt n’était en conséquence pas un contrat « international » mais un contrat interne, c’est à dire « franco français ».
La clause contractuelle obligeant l’emprunteur à régler ses mensualités en devise étrangère, en franc suisse, a en conséquence été jugée nulle car elle portait atteinte au cours légal de la monnaie en vigueur au sein de l’Union Européenne. Compte tenu du caractère déterminant de cette clause, la cour d’appel a jugé que la nullité de cette clause emportait la nullité de l’ensemble du contrat, ce qui a pour effet de replacer les parties dans l’état où elles étaient avant sa signature.
Les parties sont remises dans leur état antérieur : l’emprunteur est donc contraint de restituer les fonds reçus de la banque qui est tenue en contrepartie de lui restituer l’ensemble des sommes reçues.
Ces décisions ne sont néanmoins pas définitives. La Cour de cassation se prononcera prochainement sur leur portée.
A lire le résumé de la décision de la Cour, cette décision est très lourde pour la banque prêteuse. Pourquoi, selon vous, une décision aussi sévère ?
Les prêts en devise sont désormais encadrés par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires n° 2013-672 du 26 juillet 2013. Il n’y a plus de problème depuis son entrée en vigueur.
L’article L. 313-64 du code de la consommation pose le principe d’interdiction de souscription par les personnes physiques d’emprunts immobiliers libellés dans une monnaie étrangère à l’Union européenne.
Il prévoit que « Les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise autre que l’euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, que s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur ».
Cet encadrement juridique spécifique va tarir ce contentieux pour l’avenir.
Les contentieux en cours portent donc sur les prêts conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi et son décret d’application. Les magistrats peuvent néanmoins être tentés d’intégrer certains effets de cette loi aux contrats passés avant son entrée en vigueur.
Peut-on dire que cette décision va désormais servir de référence pour la suite ?
Il est difficile de savoir quelle décision pourrait avoir plus de portée sur les autres contentieux à venir. L’important pour les emprunteurs est de trouver une issue judiciaire favorable. Les banques de frontaliers seront éventuellement davantage disposées à négocier.
Existe-t-il un délai de prescription pour ce type d’affaire ?
Il faut distinguer selon que l’on invoque la nullité de la clause ou son caractère abusif.
Pour l’annulation de la clause et donc du contrat, le délai est de 5 ans à compter de la conclusion du contrat. Il faut donc que l’emprunteur assigne la banque dans ce délai impératif sauf pour les prêts in fine, adossés à une assurance vie, la Cour de cassation venant de juger que le point de départ du délai de 5 ans est l’échéance finale du contrat, de sorte que les recours sont plus facilement envisageables.
Pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause, celle-ci doit être jugée non écrite, de sorte que ce moyen est imprescriptible et peut être soulevé à tout moment.
Pour les prêts in fine, adossés à une assurance vie, la Cour de cassation vient de juger que le point de départ du délai de 5 ans est l’échéance finale du contrat, de sorte que les recours sont plus facilement envisageables.
Si je comprends bien, il est donc primordial d’assigner afin de suspendre la prescription et permettre aux clients de se défendre ?
La prescription ne peut être valablement interrompue que par une action en justice.
Comment se passe en pratique et en quelques mots une affaire comme celle-ci ? Quelle sont les informations que doivent produire les clients ?
L’entier dossier doit être communiqué à l’avocat.
Et pour les clients frontaliers ayant contracté un prêt en devise auprès d’un établissement bancaire en Suisse, est-il aussi possible de recourir à une procédure comme celle-ci ?
Si le prêteur est une banque suisse, d’autres moyens juridiques doivent en conséquence être soulevés.
Le droit européen permet à l’emprunteur consommateur d’assigner la banque en France et de solliciter l’application de certaines dispositions impératives du droit français de la consommation et ce, malgré l’existence de clause prévoyant l’application du droit suisse et la compétence exclusive des juridictions suisses.
Le Code de la consommation français offre ainsi la possibilité au juge de réputer abusive une clause portant sur l’objet du contrat à condition qu’elle ne soit pas rédigée de façon claire et compréhensible et qu’elle créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs.
Une décision récente favorable a été rendue sur ce motif. L’emprunteur n’est donc pas démuni face à une banque suisse.
Plusieurs autres voies de droit sont ouvertes : les vices du consentement, le défaut de mention du TEG ou d’un TEG erroné, l’illicéité de la clause d’indexation, le manquement à l’obligation d’information et au devoir de mise en garde.
Avez-vous observé des différences de comportement entre les banques ? Certaines acceptent-elles de négocier plutôt que d’aller au Tribunal ?
Des accords transactionnels sont naturellement possibles. Néanmoins, il est préférable que les négociations soient menées par des avocats plutôt que par les emprunteurs. Il est possible de s’accorder sur un cours EUR/CHF acceptable pour les deux parties.
Que conseilleriez-vous à un client qui n’a aujourd’hui pas revendu son bien (et qui n’a donc potentiellement pas de préjudice) mais qui ne peut pas le revendre à cause d’un différentiel de change trop important ? Peut-il rentrer en matière ?
S’il envisage de vendre son bien prochainement, il devrait prendre attache avec un conseil.
N’y a-t-il pas un risque de se faire « blacklister » par l’ensemble des banques lorsqu’on rentre dans une telle procédure ?
Je ne le pense pas. On parle ici de faire valoir ses droits. Les banques elles mêmes n’hésitent pas à contester les contrats signés lorsque leurs effets ne leur conviennent pas, notamment en matière de taux d’intérêt négatif.
Biographie de David Dana
David Dana est avocat au Barreau de Paris. Il est titulaire d’un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées de Droit Immobilier de l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne et d’une Maîtrise en droit des affaires de l’Université de Paris X.
Avant de fonder Dana Avocats, il a exercé deux ans au sein de l’équipe immobilière du cabinet Lacourte Balas Raquin et quatre ans au sein des départements Corporate Finance des firmes internationales Norton Rose LLP et Hogan Lovells à Paris
Dana Avocats est un cabinet d’affaires situé à Paris, 198 avenue Victor Hugo dans le 16ème arrondissement.
Les activités dominantes du cabinet sont le contentieux bancaire et financier et le droit pénal des affaires.
Nous assistons les emprunteurs et les investisseurs dans le cadre de litiges contre les banquiers, les assureurs et leurs intermédiaires, les prestataires de services d’investissement et les conseillers en investissements financiers.
Crédit photo : Fotolia – freshidea
beurtheret says
Bonjour, j’ai contacté un prêt pour ma résidence principale en 2007 en devises à l’époque 432500 CHF équivalant à 260000€ est ce qu’il y à prescription?
David Talerman says
Bonjour,
Cela dépend de ce qu’on peut trouver dans le contrat et de la gravité des manquements s’il y en a. Je vous invite à prendre contact avec Maître Dana qui pourra probablement vous en dire davantage.
Stéphane says
Bonjour.
Merci beaucoup pour cet entretien très intéressant.
Savez-vous quand la cour de cassation doit-elle rendre son jugement ?
David Talerman says
Bonjour Stéphane.
Non, mais nous suivons cette actualité et vous préviendrons quand l’information sera publiée.
Chris says
Bonjour,
J’imagine que ceci est valable pour les frontaliers ayant souscrit un prêt en devise dans une banque française? Car si c’est le cas comme moi dans une banque suisse, (crédit agricole financement), cela ne peut être valable, puisque la Suisse ne fait pas partie de l’UE?…
David Talerman says
Bonjour Chris,
La réponse à votre question est dans l’article. Pour les frontaliers (et qui donc résident en France) qui ont souscrit un prêt dans un établissement suisse sont également potentiellement concernés. Dans de tels contrat, le for juridique est en Suisse, mais compte tenu de la situation de frontalier du souscripteur, c’est bien en France que cela se passe s’il devait y avoir une action au Tribunal. Donc pour répondre à votre question, votre cas peut donc être étudié, il n’y a pas de blocage a priori, encore faut-il qu’il y ait matière bien entendu.
Béatrice says
Bonjour
Après avoir pris connaissance de tous les articles, commentaires et réponses, je me permets ce mail afin d’exposer ma situation pour voir éventuellement si quelque chose est possible.
J’ai souscrit un emprunt pour notre résidence principale en 12/2011 de 629 000 CHF au taux de 1,31 soit 480 000€. Suite à la « chute du CHF » nous subissons une importante augmentation des intérêts…
Pensez-vous qu’il y ait prescription ou qu’une « action » soit possible ?
Avec mes remerciements anticipés
David Talerman says
Bonjour Béatrice,
Difficile à dire car dans votre cas il faudrait voir si le contrat ne comporte pas des éléments qui dépassent le délai de prescription. Passez peut-être un coup de téléphone ou envoyez un email à Maître Dana qui normalement devrait pouvoir vous répondre. Il m’a indiqué récemment que sur les personnes qui le contactaient, il n’y avait pas de solution pour certains mais qu’il fallait qu’il ait des éléments en main.
Bastien says
Bonjour,
Qu’entendez-vous par « adossés à une assurance vie » ?
En ce qui me concerne, j’ai interpellé ma banque avec en appuie des articles parus dans la Tribune de Genève, cette dernière m’a répondu :
« Nous vous précisons que toute demande vis-à-vis du prêt 69130104 se trouve prescrite s’agissant d’un prêt accepté le 10/06/2006. »
Merci par avance pour votre réponse.
David Talerman says
Bonjour Bastien,
Adossé à une assurance-vie signifie dans ce cas que l’emprunteur ne rembourse que les intérêt et le capital à la fin (prêt in fine), et qu’en contrepartie un contrat d’assurance-vie vient garantir tout ceci.
Sinon, il faut à mon sens contacter l’avocat car certains faits ne sont pas prescrits.
narayanin says
crédit en francs suisse en 2006 taux au moment 1.575
revendu en 25/01/2018 taux à la vente appliqué par la banque 1.13
taux réelle du change du 29.01.2018 1.595
cordialement
seki says
Bonjour,
Suite à votre article, j’avais contacté Maître Dana, et ce depuis juillet 2017, et il n’a toujours rien fait, il me fait toujours poiroter, alors qu’il a en sa possession tous mes prêts fixe en francs suisse,
Je commence à perdre patience, et de plus l’euro remonte, est-ce que vous connaissez quelqu’un d’autre de plus sérieux pour que je puisse faire avancer mon dossier ?
Est-ce que vous connaissez quelqu’un, dont la banque lui a changé son taux de référence, sans pour autant aller au tribunal ?
Merci
David Talerman says
Bonjour seki,
Je comprends mais je ne connais pas la nature de vos échanges avec Maître Dana. En tous les cas, je n’ai pas eu d’autres retours que le vôtre.
Je ne connais pas d’autres avocats, mais il y en a probablement d’autres. Le fait que l’euro remonte me semble toutefois une excellente nouvelle dans le cadre d’un prêt en devises souscrit avec un taux EUR CHF élevé. Je vais regarder. Bonne journée.
Abel DUARTE says
Bonjour,
y a-t-il quelqu’un qui a eu gain de cause sur ce genre d’affaire? Notamment à l’aide de Maître Dana??
Merci
varin says
Bonsoir
je suis frontalier sur geneve depuis plus de 20 ans , j’ai acheter un bien ma résidence principale à Reignier Hte savoie.pour un prêt en devises CHF, en avril2011, j’ai fait faire une expertise par une société Actoowin qui s’occupe des prêts celle -ci , me confirme que mon prêt en devises est faux sur 2 points le TEG, +TEG sur les années LOmbardes. est que c’est condamnable par le tribunal? Je voudrais me renseigner auprés de vous est vos services, en relation avec Maitre DANA. je suis adhérent au GTE depuis pluisieurs année , est je vous ai vu dans le forum des frontaliers à annemasse.( j’ai mon expertise mais ya t’il prescription sur le délais de 5ans ) bien cordialement de vous lire
David Talerman says
Bonsoir,
Désolé pour le délai. Le mieux est je pense de contacter maître Dana et de lui poser la question. Ce que je sais, c’est que les Tribunaux sont de moins en moins enclins à condamner les banques dans ce cas, car il y a eu de très nombreux cas. Mais demandez lui !
LASNE Guillaume says
Bonjour,
J’ai fait expertiser mon prêt immobilieren franc suisse signe en novembre 2012 grâce à mon emploi en suisse ( situation: nous vivons en France nous sommes pacsé et ma femme travail elle sur france.) Ce qui resulte de l’expertise est que « le TEG conventionnel prévu dans le contrat de prêt est erroné et ne répond pas aux dispositions prévues dans le code de la consommation,confirmées par les Cours d’appel et la Cour de Cassation à de multiples reprises » et que le risque de change est supporté que par l’emprunteur..
J’aurai aimé avant de me lancer dans une tel procédure et ainsi faire vérifier si l’expertise faite par la Société « expert Finance »basé à sierre en suisse est exact et recevable en justice ou si tout ça n’est que escroquerie pour une fois avoir payé les frais de dossier d’avocats etc n’avoir plus de nouvelles d’eux.
Comment joindre Maître Dana ?
Merci du temps pris pour votre réponse..
MR Lasne Guillaume