Dès qu’on parle d’emploi en Suisse et d’immigration, et notamment sur les réseaux sociaux, le ton monte facilement. Parmi les arguments souvent mis en avant, le fait que les étrangers « voleraient » les emplois des locaux. Une étude, publiée ce mois par le SECO, Secrétariat d’Etat à l’Economie, fait le bilan de 15 années d’accords bilatéraux et de libre circulation des personnes… et prouve non seulement que les étrangers n’ont pas pris les places de travail des locaux, mais qu’en plus, ils ont permis de créer davantage d’emplois.
Dans cette étude documentée de presque 100 pages, qui reprend par ailleurs plusieurs résultats d’études précédentes sur le sujet des frontaliers et résidents étrangers, beaucoup de paramètres sont passés en revue, entre 2002 et 2016 : taux de chômage, taux d’emploi, salaires… avec à chaque fois une comparaison entre les différentes catégories de travailleurs (Suisses, ressortissants de l’UE/AELE, et ressortissants d’Etats tiers). J’ai tiré de cette étude 5 résultats concrets qui sont, à mon sens, très intéressants et remettent l’église au milieu du village.
#1. Les Suisses sont beaucoup moins touchés par le chômage que les étrangers
Le taux de chômage des Suisses a augmenté 7 fois moins que celui des étrangers entre 2011 et 2016
Entre 2011 et 2016, le taux de chômage en Suisse a augmenté de 0,5%, passant de 4,4% à 4,9%.
Sur la même période, le taux de chômage des personnes de nationalité suisse a augmenté de 0,2% (3,4% à 3,5%), soit une évolution quasi nulle.
Pour les ressortissants de l’UE/AELE en Suisse, le taux de chômage a subi une évolution de +1,4% (5,3% à 6,7%).
Aussi en comparaison des étrangers, les Suisses ont été finalement peu touchées par le chômage : leur taux de chômage est resté stable sur la période, et ils sont en proportion environ 2 fois moins au chômage sur 2016.
Là où ce résultat est intéressant, c’est qu’il est calculé sur la base du taux de chômage du BIT (Bureau International du Travail), et qu’il inclut donc les personnes qui sont potentiellement sorties du chômage car en fin de droit. Ces résultats n’incluent par ailleurs pas le chômage des travailleurs frontaliers, comptabilisé dans leur pays de résidence.
Le rapport entre le taux de chômage des Suisses et des ressortissants de l’UE/AELE est resté stable entre 2002 et 2016
Le taux de chômage des Suisses, au sens du BIT, a été inférieur de 26% en moyenne sur la période 2002-2016, alors que celui des étrangers a été supérieur de 85%. Dans le même temps, le rapport entre ces deux taux de chômage est resté stable.
#2. Les étrangers ne viennent pas en Suisse pour des postes pour lesquels ils sont sur-qualifiés
La proportion d’étrangers hautement qualifiés ayant émigré en Suisse ces dernières années est équivalente à celle de des étrangers exigeant un niveau de qualification élevé : cette affirmation vient mettre à mal l’argument souvent mis en avant selon lequel les étrangers viendraient prendre des postes pour lesquels ils sont sur-qualifiés, au détriment des locaux.
Dans le graphique ci-dessous, la courbe rouge indique la proportion de ressortissants de l’UE/AELE ayant en Suisse un métier exigeant des qualifications élevées, et la grise la proportion de ressortissants de l’UE/AELE ayant une formation au niveau tertiaire.
On constate que ces 2 courbes, avec le temps, ont tendance à évoluer de la même manière et à se confondre : c’est un indice qui montre notamment que les personnes de nationalité étrangère qui sont venues s’installer en Suisse y sont venues pour exercer des métiers en relation avec leurs qualifications.
#3. Les étrangers occupent principalement des postes qui sont soit très qualifiés et en croissance, soit faiblement qualifiés et délaissés par les locaux
Les étrangers sont concentrés dans deux types professions : celles qui nécessitent des qualifications très élevées, et celles nécessitant de faibles qualifications, ce qui signifie qu’en Suisse, l’immigration est polarisée.
Par exemple, pour les postes administratif, la part des ressortissants de l’UE/AELE est très faible (5%), alors que sur des fonctions dirigeantes ou des postes académiques, la part de ces mêmes ressortissants est d’environ 15%.
Au niveau national, 60% des ressortissants de l’UE/AELE occupent des postes dans des professions exigeant des niveaux qualification très élevés (fonctions dirigeantes / cadres, professions académiques, métiers de technicien).
Sur ces métiers, l’emploi a fortement augmenté depuis 2002, en raison des mutations structurelles.
Pour les métiers nécessitant les qualifications les plus faibles, les ressortissants de l’UE/AELE sont également fortement représentés, et viennent compenser un manque de main d’oeuvre locale qui s’aggrave avec le temps à cause, notamment, d’une faible démographie.
Par ailleurs, dans les métiers où l’emploi a fortement reculé depuis 2002, les étrangers n’y sont que très faiblement représentés.
Enfin, l’étude nuance ces résultats en indiquant que sur les segments de population les plus qualifiés, la concurrence initiée par le développement de l’immigration a probablement été très forte dans certains métiers.
En conclusion sur ce critère, l’étude du SECO indique que « l’immigration liée à l’ALCP est venue compléter de manière satisfaisante le potentiel de main d’oeuvre indigène ». L’analyse montre en effet que l’immigration est venue combler les manques de main d’oeuvre dans les secteurs en forte croissance et dans ceux où la main d’oeuvre locale n’est pas suffisante, sans se substituer aux locaux.
#4. Les ressortissants de l’UE/AELE ne viennent pas en Suisse pour toucher des prestations sociales
Que ce soit le chômage ou l’aide sociale, une étude menée a permis de prouver que les ressortissants de l’UE/AELE avaient beaucoup de moins risque de recourir aux prestations sociales que la moyenne. Ainsi, dans le cas observé, plus de 90% des ressortissants UE/AELE s’étant installé en Suisse n’ont perçu aucun prestation sociale dans les 4 ans qui ont suivi leur arrivée en Suisse.
En revanche, dans la catégorie des étrangers ayant perçu une prestation sociale, ce les ressortissants originaires des pays du Sud de l’Europe qui y ont le plus recours. Ces ressortissants ont une moins bonne formation et sont en proportion plus nombreux à travailler dans les secteurs d’activité ou des métiers plus précaires.
#5. Grâce à l’emploi frontalier, le Tessin et l’Arc lémanique ont enregistré une forte croissance, supérieure à la moyenne suisse
C’est un rôle fondamental qu’a joué l’emploi frontalier dans l’arc lémanique : en 15 ans, alors que la population active résidente est à l’origine de 14% de la croissance de l’emploi, les frontaliers eux y contribuent pour 10%, soit 40% de la croissance totale (au Tessin, 70% de la croissance est due aux frontaliers). L’étude mentionne très clairement que c’est « grâce à l’emploi frontalier que ces deux régions ont enregistré une croissance très dynamique, supérieure à la moyenne. »
L’étude apporte toutefois une certaine nuance dans l’analyse, en précisant que sur certains segments du marché du travail, la concurrence due à l’immigration est probablement importante et qu’il ne faut pas exclure ces cas de son champ de vision. Probablement une manière de dire que cette étude voit le sujet dans sa globalité, et qu’elle n’a pas la prétention de généraliser absolument à toutes les situations, ce que je partage totalement.
Je vous invite à consulter l’étude complète qui est une mine d’informations.
Crédit photo : Fotolia @ rh2010
Bernard says
Bonsoir David,
Joli résumé du SECO., toutefois, vous en oubliez quelques notions de conforts tels que: les logements décents disponibles à des coûts raisonnables (ce qui offres le loisir aux propriétaires de jouer sur les prix de manière inadmissible, les transports, ou de plus en plus il de vient lent et compliqué voir dangereux de se déplacer d’un point à un autre rapidement, avec le sentiment de plus en plus de rouler dans un département français, le salaire qu’il devient de plus en plus compliquer d’augmenter de par la concurrence étrangère que le patronat vous fait comprendre (1 salaire actuel pour 2 étrangers) l’attitude qui en devient hors norme, mon épouse a dernièrement été dîner à midi avec une de ses collègues dont la serveuse de nationalité française à refusé de les encaisser sous prétexte que mon épouse à chiffré l’addition qui se montait à 57.75 (cinquante-sept francs septante-cinq centimes, et qu’elle ne parlait pas se langage !!!!.
Pour ma Part les étrangers de la CE s’installant en Suisse ou les frontaliers de la région immédiate ne me dérange pas, bien au contraire, mais il me paraît normal de respecter les uses et coutumes du pays quand on est un hôte.
Anne says
SVP ne pas utiliser les chiffres du Seco sur le chômage car ils ne reflètent pas la réalité, soit toutes les personnes qui ne sont pas/plus inscrites aux ORP (1) et qui recherchent du travail. Merci.
(1) en particulier les personnes qui ont épuisé les indemnités chômage, jeunes et plus âgés.
David Talerman says
Bonjour Anne,
Précisément, et c’est bien mentionné dans l’article, ce sont les chiffres du BIT qui sont utilisés ici, et qui intègrent donc les personnes qui ne sont plus actives.