Je lis partout et le constate également dans mon entourage professionnel : les entreprises suisses, PME et grandes entreprises, se plaignent d’avoir des difficultés de recrutement, notamment pour les postes qualifiés. Certaines explications sont fréquemment avancées : manque de main d’oeuvre locale, taux de chômage très faible dans certains cantons, parfois manque de motivation des candidats… C’est un vaste sujet qui est notamment au coeur des débats sur la limitation de l’immigration en Suisse : les étrangers représentent une solution pour combler ce manque de main d’oeuvre, et la nouvelle loi risque de poser certains problèmes.
Si ces raisons sont pour la plupart objectives et réelles, d’autres raisons viennent expliquer ces difficultés de recrutement. J’en vois en tous les cas 2 qui ne sont pas forcément les plus communiquées par les entreprises et qui pourtant existent bien.
Les entreprises suisses préfèrent attendre le candidat idéal
Je l’ai toujours dit : les entreprises suisses ont en général le choix et peuvent compter sur des candidatures de qualité. Alors certaines d’entre-elles semblent jouer la montre, et attendre de tomber sur LE candidat qui remplit au moins 90% du profil de poste. Dans la mesure où le poste non occupé ne remet pas en cause la survie ou la croissance de l’entreprise, cette dernière peut tout à fait se permettre de retarder son recrutement et de choisir le candidat qu’elle souhaite. En clair, si une entreprise suisse veut recruter à un moment donné et qu’elle a le choix entre 5 candidats, elle ne prendra pas le moins mauvais d’entre-eux mais aucun si aucun de ces candidats ne remplit exactement (ou au moins à 90%) le descriptif de poste. C’est logique, et ce phénomène est d’autant plus fréquent que l’entreprise se porte bien et que le poste n’est pas critique, ce qui est le cas actuellement de beaucoup d’entreprises suisses.
Le salaire n’est pas toujours au rendez-vous
Recruter du personnel peut coûter cher. Si vous êtes une entreprise suisse et que vous recherchez des employés qualifiés, il faudra être cohérent et payer le « juste prix ». Or, en la matière, les entreprises n’ont pas les mêmes politiques (et je ne parlerai pas des secteurs d’activité où on constate des différences importantes) : certaines, cohérentes, proposent des salaires non seulement dans le marché mais également attractifs pour être sûre d’attirer les bons candidats. D’autres n’ont pas les moyens de se payer ces spécialistes et restent avec des postes ouverts pendant plusieurs mois, ce qui explique notamment que les entreprises suisses déclarent avoir des problèmes de recrutement de personnel qualifié.
En marge de ce phénomène, on assiste ainsi parfois à des situations problématiques : avec des salaires peu attractifs, ces sociétés ne captent pas les salariés locaux (qui connaissent les pratiques usuelles) mais les étrangers sans expérience en Suisse et pas toujours au fait de ce qu’ils valent sur le marché suisse. C’est le dumping salarial (le dumping salarial, c’est lorsqu’une entreprise propose un salaire inférieur à un étranger parce que justement il est étranger). Si vous êtes dans ce cas, je vous invite à consulter notre page « Salaire en Suisse« , cela vous donnera quelques points de repère. Enfin, je consacre un chapitre complet au sujet du salaire en Suisse dans mon livre « Travailler et vivre en Suisse« . Vous y trouverez également la conduite à tenir en termes de négociation de salaire quand on est étranger.
Pour compléter cet article, je serai très heureux d’avoir le retour d’expérience de chacun d’entre-vous sur ce sujet : candidats et recruteurs…
Laurianne says
Absolument. A mon avis, les entreprises taisent ces deux facteurs car cela donnerait une assez mauvaise image d’elles – surtout dans le 2ème cas de figure.
Pour partager une expérience récente : je suis actuellement à la recherche d’un poste en communication. J’ai un Master dans ce domaine, 9 ans d’expérience dans des structures variées telles que multinationales et ONG, je parle 3 langues couramment (dont l’anglais bilingue). Mon profil a été évalué à 100K CHF par plusieurs personnes dans les RH. J’ai postulé il y a quelques mois à une offre pour laquelle je correspondais à 90% sur le papier, offre assez exigeante. Je n’ai même pas été convoquée à un entretien car il me manquait UN élément dans mon CV (avoir travaillé dans un domaine spécifique). J’ai de l’expérience dans un domaine très similaire, mais pas celui-ci en particulier. Une agence m’a contactée peu après pour ce même poste. Elle non plus n’a pas compris pourquoi l’entreprise n’a pas souhaité me rencontrer. Plus tard, j’ai appris que le budget de la société était de 80K CHF. Donc non seulement elle était très exigeante, mais en plus elle ne payait pas à la hauteur de ce qu’elle demandait. A ma connaissance, cette société cherche toujours, et par l’intermédiaire de plusieurs agences.
Charles says
Chère Laurianne,
On perçoit un peu de frustration dans votre message.
Afin que vous puissiez mieux comprendre la situation, je vous propose une lecture « suisse » de votre parcours. Attention, c’est direct.
1/ Master en communication = peu de valeur. Ce genre de formation universitaire française ne vole en général pas très haut. On regardera donc l’expérience et le caractère.
2/ 9 ans d’expérience c’est bien. Regardons le détail:
– les ONG manquent de professionalisme, donc on ignorera ces années. Il en reste combien, La moitié?
– Multinationales, avec un S signifie que vous avez travaillé dans au moins deux multinationales en 5 ou 6 ans. C’est trop. A chaque changement d’employeur on perd un, voir deux ans. Vous n’avez donc pas eu le temps de vous intégrer, d’apprendre les processus.
Votre expérience est donc très faible (malgré le nombre total d’années)
3/ le caractère. Vous avez probablement changé trop souvent d’employeur. On craindra donc une insatisfaction chronique ou des difficultés d’adaptation.
4/ les langues: si elles sont inutiles pour le poste, … elles sont inutiles. (sauf le suisse-allemand). Si elles sont nécessaires, ce n’est pas un plus, mais juste un prérequis pour postuler. Et l’anglais est très courant.
Vous le voyez, votre appréciation de « 90% » est très optimiste. De ce que vous avez écrit, je ne vous recevrais pas pour un entretien. Sauf pour un poste de débutant.
Question salaire, vous posez les choses à l’envers. Vous ne valez rien tant que vous n’avez pas de poste. C’est le poste qui vous donne de la valeur. Prenez ce que vous disent les RH avec des pincettes. Ce sont des flatteurs. Ce ne sont pas les RH qui engagent, mais les managers.
Un conseil? Partez du principe que les entreprises ne vous doivent RIEN avant engagement.
Vous gagnerez en valeur en fonction de ce que vous aurez réalisé dans l’entreprise.
Bonne chance pour vos recherches d’emploi!
Charles
Jenny says
Bonjour Charles,
J’aime beaucoup votre « lecture suisse » du parcours de Laurianne. Finalement il est tellement facile de trouver une excuse pour ne pas choisir tel ou tel candidat!
Je recherche plus ou moins intensément en Suisse depuis 2 ans, et malgré de nombreux entretiens avec des cabinets, et seulement 2 directement avec des employeurs, c’est toujours négatif. Pourriez-vous faire aussi cet exercice de « lecture suisse » de mon parcours?
Je recherche un poste en contrôle de gestion. Diplômée en 1994 d’une maîtrise universitaire en économie-gestion (appelée aujourd’hui Master 1). J’ai 20 années d’expérience professionnelle en contrôle de gestion dans le secteur de l’industrie, dont 17 ans sur un site de production français d’une multinationale américaine, fabricant de connecteurs pour l’aéronautique. Lors de cette expérience, j’ai été comptable analytique, puis comptable clients export, puis j’ai cumulé la responsabilité du contrôle de gestion opérationnel et la comptabilité clients export pendant 8 ans (à raison de 50% chaque poste). Aujourd’hui j’ai changé d’entreprise depuis 8 mois et suis contrôleur de gestion industrielle d’un petit groupe français équipementier auto de rang 2 et possédant 4 filiales à l’étranger. Mais ce poste et son environnement ne me conviennent pas et je recherche à nouveau autre chose.
J’ai toujours eu une dimension internationale dans mes missions, et mon expérience d’un groupe américain m’a donné l’habitude des environnements très structurés et exigeants.
Question langue, à part le français ma langue maternelle, mon anglais à un niveau B2.
Question IT, Excel niveau avancé, et habituée aux ERP, et aujourd’hui débutante sur SAP.
Dans mon CV apparaissent 2 « trous » que j’explique ouvertement: un congé parental de 3 ans datant de 2001/2004, et un congé sabbatique d’un an en 2012/2013, pour faire le tour de l’Atlantique à la voile en famille.
Voilà en gros mon CV. J’ai les compétences « classiques » d’un contrôleur de gestion.
Les cabinets de recrutement suisses semblent toujours intéressés par mon profil, mais les employeurs moins apparemment. Pour la plupart d’entre eux, je suis un profil entre 2: pas assez d’expérience pour un poste de manager, et trop d’expérience pour un poste junior. Pour les cabinets, je pourrais « valoir » entre 90 et 120K CHF…mais toujours rien de concret! Les annonces sont vraiment extrêmement exigeantes, bientôt ils demanderont des candidats avec des slips rouges !
Qu’Est-ce qui ne plaît pas aux employeurs suisses dans mon parcours? Comment lisent-ils mon parcours?
Merci pour votre lumière!
Daniel says
Je confirme vos dires. Ingénieur en électronique depuis 13 ans dans la même entreprise, je ne peux que constater qu’un assez grand changement du comportement des entreprises après la libre circulation. Après la libre circulation les salaires à l’embauche dans mon entreprise ont commencé à décliner. Du jamais vu en 35 ans de carrière. Mon entreprise préférant embaucher un ingénieur étranger qu’elle payera moins chère. De plus en parlant avec une employée RH de ma boite, celle-ci me confiait qu’ils ont beaucoup plus de choix depuis la libre circulation et peuvent donc se permettre d’être plus exigeantes sur les profils. Un collègue espagnole qui a des connaissances très recherchées me disait qu’il y a 3 ans quand il a perdu son travail en Espagne, il a eu le choix entre 3 postes, un en France, un autre en Allemagne et un en Suisse (dans notre entreprise). Son choix a été vite fait vu le salaire 2.5 fois supérieur a celui proposé dans les 2 autres pays. Je pense que la libre circulation a changé beaucoup de choses sur le marché du travail en Suisse. Depuis les salaires a l’embauche ont plutôt tendance a stagné ou baissé (excepté les grosses entreprises) et les PME sont devenues beaucoup plus exigeantes sur les profil recherchés. Elle ne prendront qu’un profil qui correspond exactement à leurs exigeantes. Si vous regardez chez nos voisins, Français, Italiens et Allemands elles sont loin d’être aussi exigeantes. Honnêtement je ne suis pas trop étonné du résultat de la votation du 9 février. Car libre circulation rime avec salaire qui stagne/baisse (statistiques officielles sont faussées par les chiffres des grandes entreprises mais dans les PME c’est malheureusement bien la réalité) et employeur beaucoup plus exigeant donc beaucoup plus difficile pour les locaux de trouver un travail.
Jam's says
Un secret de polichinelle,
J’ai postulé dans plus de 200 entreprises du secteur horloger pendant pas moins de deux ans.
Mon parcours est exceptionnelle dans ce sens qu’il s’agit d’abord d’une adaptation au marché local, à savoir l’horlogerie en manque de main d’oeuvre qualifié, d’une réorientation professionnelle réussi avec un CAP horloger dans la prestigieuse Greta de Morteau, un CFC d’horloger-praticien me conférant le statut d’horloger junior.
Mon parcours ne tarit pas d’éloge, ayant travailler pour une des plus prestigieuse entreprise d’horlogerie florentine du Groupe Richemont. Mais voilà, victime de discrimination à l’embauche au sein même de l’entreprise, et ne pouvant pas rivaliser avec la panelle rhétorique, je me suis retrouvé à la recherche d’un travail avec confiance, diplôme et espoir.
En passant par l’ORP, plus de 10 agences de placement et TOUTES LES ENTREPRISES HORLOGERES allant du Brassus à Bienne en passant pas le canton de Neuchâtel, toutes sans exception ont répondu par un « malgré l’excellente qualité de votre dossier, notre choix s’est tourné vers un profil mieux adapté » et de voir inlassablement le même poste dans les mêmes annonces durant des mois, des années entières.
Alors oui, je confirme les propos de ce blog et je trouve révoltant, car le candidat adéquat au poste adéquat existe, mais ce n’est pas sur une page A4 d’un CV que l’on va le trouver, mais en l’embauchant et des outils sont disponibles pour ne pas se tromper, notamment la prolongation de 3 mois du délai de mise à l’épreuve.
Effectivement, les entreprises utilisent à la perfection les lois que le gouvernement leur fournit pour ne pas trop se mouiller dans l’embauche et de geindre ne pas trouver ensuite leur perle.
Peut-on s’étonner ensuite que le peuple suisse vote contestataire une loi contre l’immigration de masse ?
Une des conséquences fâcheuses de cette situation dont le gouvernement ne prends absolument pas la mesure et dont sont victimes parties des employés: le dumping salarial, en témoigne mon salaire d’horloger à 4000.- net contre 4’600.- chez Panerai en tant qu’opérateur junior. CQFD.
Jam’s Dastyle