Avec son initiative contre l’immigration de masse votée en février dernier, visant à réduire le nombre d’étrangers travaillant en Suisse avec une mise en oeuvre de la loi dans un délai de 3 ans, le pays a transmis aux travailleurs étrangers du monde entier un message qui n’est pas exactement ce qu’on pourrait qualifier de message de bienvenue. Même si tout réside dans la manière dont sera mise en oeuvre la loi (ce à quoi travaillent actuellement le Conseil fédéral et les parlementaires), le mal est malheureusement fait, du moins en termes d’images.
La Suisse a besoin, comme tout pays développé dont l’économie s’appuie sur l’innovation, de talents. Ils sont indispensables, et sont déjà aujourd’hui difficiles à trouver (aussi bien les PME que les grandes entreprises suisses n’arrivent pas à recruter ces profils). Demain, ce sera probablement plus difficile, et c’est un problème important pour l’économie suisse.
Une votation perçue négativement par les talents
Les travailleurs étrangers spécialisés et qualifiés, ceux qui ont précisément la possibilité de trouver un emploi un peu partout dans le monde, tant le métier qu’ils exercent est sous tension, se sentent aussi dans le viseur de la nouvelle loi. Ces professionnels, en général bien informés, ont perçu et perçoivent la votation de manière plutôt négative. Certains, et notamment ceux qui ne connaissent pas très bien le contexte, n’ont retenu qu’une chose : la Suisse est un pays qui ne veut plus d’étrangers. De fait, certains de ces travailleurs m’ont clairement dit qu’ils allaient faire disparaître la Suisse de leur « radar », et se concentrer vers des pays plus « accueillants ».
Pour d’autres, c’est une incertitude en termes de recrutement qu’ils ne veulent pas forcément assumer, dans la mesure où ils n’ont pas de grandes difficulté à trouver un emploi. L’un d’entre-eux m’a dit une chose assez claire à ce sujet :
« Dans mon métier, les entreprises ne se valent pas toutes en termes d’intérêt mais elles savent qu’elles doivent nous proposer des conditions intéressantes (et je ne parle pas que des conditions financières, mais d’un ensemble, et particulièrement l’intérêt du job). Du coup, quand une entreprise à Londres ou à Singapour me dit « ok » c’est tout bon, on est en d’accord pour vous recruter à telle et telle condition », je sais que si j’accepte ce sera du sûr. Visiblement, avec la nouvelle loi, même si une entreprise suisse veut me recruter, je ne suis pas certain d’avoir le job si on ne m’accorde pas le permis. Alors je ne prendrai pas le risque de perdre une autre opportunité, sauf si c’est précisément une entreprise qui m’intéresse vraiment. »
Les PME suisses risquent bien d’être les perdantes de la nouvelle loi
Avec la nouvelle loi, on s’achemine probablement vers des recrutement d’étrangers plus concentrés vers les grosses structures qu’actuellement : en effet, la plupart des PME n’auront pas les ressources ou la patience de faire les démarches pour recruter les étrangers. Quand on sait que le tissu de PME en Suisse est particulièrement dynamique, il est très probable que ces PME perdent une partie de ce dynamisme et de cette croissance, par manque d’effectifs. J’ai encore en tête cette start-up suisse dont nous parlions dans une de nos newsletters en début d’année et qui n’arrivait pas à recruter de spécialistes (avec 15 postes ouverts) !
Les chercheurs vont-ils quitter la Suisse ?
Autre situation aggravante pour la Suisse : l’UE, suite à la votation, a décidé de geler la participation de la Suisse au programme de recherche Horizon 2020, lui coupant ainsi l’accès à des ressources financières importante. La Suisse a travaillé et travaille dur pour créer un écosystème favorable à la recherche, a investi, et voit ses efforts compromis par cette décision, ce que ne manque pas de souligner régulièrement le président de l’EPFL, Patrick Aebischer. Concrètement, le risque n’est ici pas tant de voir une délocalisation des centres de recherches, mais plutôt un arrêt des investissements, ce qui, à terme, signifierait la fin de cette dynamique d’innovation dont bénéficie la Suisse. Moins de centre de recherche signifierait donc concrètement moins d’attrait et moins de talents. Avec les impacts sur l’économie qu’on peut imaginer.
La Suisse reste attractive mais…
Le pays, selon mes contacts, reste toutefois attractif, notamment par les opportunités proposées et les entreprises et infrastructures qui y sont implantées. Mais on sent bien l’inquiétude poindre chez les étrangers qui y travaillent déjà, et un scepticisme chez ceux qui s’y intéressent (entreprises étrangères et travailleurs qualifiés). Il faudrait surtout que la situation soit clarifiée rapidement, et qu’on connaisse les modalités précises de la loi, et particulièrement les règles d’attribution et les quotas, ce qui devrait être fait en 1ère mouture en juin prochain.
Malheureusement, on peut conclure que la Suisse a déjà payé cash les résultats de la votation sur la limitation de l’immigration, le pays étant devenu de facto moins attractif pour les investissements étrangers et moins attractif pour les talents, 2 « acteurs » qui sont déjà aujourd’hui très convoités. Et vous, comment percevez-vous la situation ?
Bonjour,
Actuellement frontatier Suisse (Permis G), je commence déjà à chercher un autre boulot en dehors de la suisse. Mon permis arrivant à terme en 2016, aurais la certitude que mon permis sera renouveler? Je desire changer pour un permis B (j’ai un logement en suisse), aurais je la certitude que cela sera validé ? Que se passera t’il dans deux ans…
Bref a mon avis, la stabilité connait une certaine valeur de nos jours, je préfère un travail moins bien payé dans un pays accueillant avec un vision long terme que de me poser pleins de questions…
Vous en pensez quoi ?
Tom
Je ne crois pas au scénario catastrophe que tous les journaux peignent suite a la votation. Les Suisses ont toujours été pragmatique et je leur fait confiance pour trouver une solution qui soit a la fois assez souple pour les entreprises mais aussi qui réponde aussi aux exigences du peuple. On a eu des quotas jusqu’en 2008. Puis la libre circulation sans quotas. Or avant 2008 les entreprises suisses marchaient très bien, elles innovaient, arrivaient a attirer des talents….. Je connais beaucoup de personnes très qualifiés qui apprécient encore les conditions cadres en Suisse. De plus l’incertitude sur la fiscalité est en train d’être levée avec un taux d’imposition pour le canton de Genève et de Vaud a 13%. Taux le plus bas au monde des pays industrialisés avec l’Irlande (12.5%). Infrastructure sont parmi les meilleures. Les universités pareilles….Ma femme qui chercheuse en Neurosciences a Genève n’a pas eu d’écho négatif de la part de ses collègues chercheurs, lesquels estiment avoir de très bonne conditions ici. Donc oui ça envoie un signal légèrement négatif mais ça n’empêchera pas a la Suisse d’être l’un des plus attractifs pays au mondes pour les cerveaux…..
Merci Pablo pour ce retour d’expérience. Je suis plutôt d’accord avec vous et vos arguments, toutefois le paysage que vous peignez avant la mise en place des accords bilatéraux (en 2004) n’est pas aussi « idyllique ». Pour les multinationales et grands groupes établis en Suisse, les accords bilatéraux n’ont pas changé grand chose sur le recrutement d’étrangers puisqu’elles « trustaient » les quotas (c’est devenu juste plus simple pour elles de recruter depuis la mise en place des accords). Pour les PME, ce n’est pas tout à fait la même chose : avant les accords, elles étaient, pour beaucoup, limitées dans leur développement à cause du recrutement qui était difficile d’une part (manque de talents), et « l’accès » aux étrangers leur était rendu difficile à cause des démarches d’autre part. Or, les PME, c’est le plus gros morceaux de l’économie suisse. Du coup, et on le voit bien dans les chiffres économiques, la Suisse a plutôt stagné économiquement jusqu’à cette période.
Bonjour M. Talerman
Tout d’abord bravo pour votre blog que j’apprécie beaucoup. Vous parlez d’une Startup qui cherche 15 ingénieurs spécialisés en traitement du signal numérique. Or il s’avère que 2 amis (Une roumaine et un Russe) qui ont fini leur master en système de communication a l’EPFL spécialisation traitement du signal cherchent désespérément un travail depuis 4 mois mais n’ont que des réponses négatives. Pourriez-vous SVP m’envoyer le nom de la startup a mon adresse email, je pourrais ainsi leurs transmettre.
Je tiens a tempérer vos propos sur la pénurie d’ingénieurs. Dans ma promo beaucoup galère pour trouver un emploi car les employeurs peuvent recruter a l’échelle EU et préféreront embaucher un jeune ingénieur qui a 10 ans d’expérience chez Renault (France), telephonica (Espagne), Phillips (Pays-bas)… ou qui a effectué un doctorat ou parle 4 langues couramment et connais 2 domaines d’ingénieries (quasi impossible) plutôt que de recruter un jeune ingénieur sortant de l’EPFL par exemple. Je pense que les recruteurs Suisses sont devenus trop gâtés (et exigeant) depuis qu’il y a la libre circulation et c’est beaucoup plus difficile pour nous de trouver une première entreprise qui accepte de nous donner une chance. Moi perso j’ai réussi à trouver mais j’ai cherché pendant près de 10 mois et ça n’a pas été facile. Merci de me donner le nom de la Startup.
Julien
Bonjour Julien,
Merci pour les encouragements.
Je sais – et c’est triste – que pour les jeunes il est partout très difficile de trouver un emploi, y compris en Suisse. Par expérience, je sais également que le taux de chômage des jeunes en Suisse reste malgré tout très faible par rapport à d’autres pays voisins (la France notamment). Mais ça ne console pas forcément quand on est dans une situation de recherche d’emploi…
Je suis 100% d’accord avec vous sur le faite que les entreprises suisses sont « gâtées », et c’est un témoignage intéressant que vous faites car illustre bien ce que je dis souvent : les entreprises suisses ont le choix entre beaucoup de candidats ayant d’excellentes qualifications…
Je pense quand même que le fait d’être issu de l’EPFL donne plus de chances, même si la compétition avec des candidats expérimentés est difficile et pas forcément équilibrées. Je vous ai envoyé par mail les coordonnées. Dites que vous écrivez de notre part. Bonne journée et à bientôt sur mon blog.
Raison pour laquelle, il y a également la mention « préférence nationale » dans l’initiative de l’UDC. Ceci dit, elle touche les résidents et pas que les Suisses.
Non Pablo a raison, la date de 2008 est exacte. De mémoire comme vous le dites les bilatérales entre en vigueur en 2004 MAIS il me semble que de 2004 à 2008 il y a eu des mesures intermédiaires avec des quotas (50’000 mais pas sûr de ce chiffre) ensuite en 2008 totale ouverture sans quotas. On voit bien que pendant la période ou il y a eu des quotas l’économie tournait très bien. Avant 2004 l’immigration était quasi nulle, de 2004-2007 quotas 50’000/année puis explosion des que les quotas ont sauté. Maintenant on tourne autour de 100’000 par année. En 2013 on a frôlé les 100’000 (1.25% de la population=taux le plus élevé des pays Européens et même le plus élevé au monde parmi les pays industrialisés juste devant l’Australie et le Canada).
De 2004 à 2008 le taux de croissance de la Suisse était aussi élevé que maintenant. Nos universités trustaient déjà les hauts des classements, on était déjà dans le top 5 des pays les plus innovants au monde. Ce que je veux dire c’est que pas d’immigration du tout n’est pas bon pour l’économie mais un quotas à 50’000 par exemple n’empêchera pas la Suisse d’être le pays le plus innovants du monde. Sur les 100’000 immigrés par année seule 30’000 à 40’000 sont des personnes très qualifiés (Ingénieurs, chercheurs, informaticiens, docteurs, infirmiers, personnes dirigeantes, management). Donc avec le quotas mis en place on aurait toujours ces personnes qualifiés. Tous les autres boulots peuvent être effectués par des locaux. Concernant l’agriculture, il y aura des permis temporaires. Donc honnêtement il faut arrêter de tomber dans le catastrophisme comme le souligne Pablo. Ca me semble plutôt sain de choisir les personnes qui immigrent chez nous. On a pas besoin d’engager un Français pour vendre des livres a Payot…Le chiffre de 50’000 semble circuler dans la presse et cela me semble parfait pour attirer les 7-8 professions que j’ai cité plus hauts.
Bonjour Eric,
Merci pour ce commentaire documenté. En fait, l’ouverture totale sur le marché du travail pour les ressortissants de l’UE 17 (Allemagne, France…) s’est faite en juin 2004, avec la disparition des quotas. Mais bon, cela ne change pas franchement votre raisonnement. Je suis pour ma part plutôt favorable à une immigration choisie, et la difficulté vient du fait qu’il est difficile de traiter de la même manière les employés qualifiés et les autres, ce que les accords sur la libre circulation permettent. Et c’est ce qui pose problème aux Suisses, notamment pour certains métiers où les locaux (suisses et étrangers déjà sur place) sont en nombre suffisant, avec parfois des dérives sur le dumping salarial. Tout le débat est là je crois…
Bonjour,
Malheureusement un vote pareil ça traduit un assez ! C’est un résultat de l’arrogance de l’employeur suisse qui n’emploie pas forcément des génies, des employés qualifiés pour des métiers spécifiques mais qui ne donne pas de chance aux personnes habitants à Genève comme aux frontaliers par exemple, je travaille dans une entreprise ou il n’y avait pas d’employés résidants hors de la Suisse puis en 3 ans on a engagé à peu près 100 employés dont à peu près 80 français ! Annonces faite même au nord de la France dans les journaux pour ce recrutement! Alors que pour un métier difficile pour le salaire proposé est moins attrayants pour les Genevois, bref la autant d’étrangers ça passe pas et malheureusement c’est un comportement pareil du recrutement qui fait ce vote, imaginez une entreprise nationale française engageant 80% d’espagnols!
Du coup ça laisse place même au racisme anti-travailleurs étrangers et frontaliers malheureusement, le quota est bien pour tout le monde étranger comme moi car je me sentirais moins « envahisseur » avec beaucoup d’autres, je passerais mieux quoi
Bonjour David,
Je confirme les propos de Julien.
Un de mes amis de l’EPFL (Roumain aussi) a mis aussi des mois à trouver un CDI et son poste est loin de chez lui. Comme partout, les entreprises recherchent des ingénieurs avec 5 ans d’expérience dans leur domaine spécifique (ça concerne p.e. 1% de la population d’ingénieurs) et pas chers. D’où le recours à de la main d’oeuvre venant de l’étranger ne connaissant pas les coûts de la vie en Suisse et les salaires usuels. Mon expérience est que les entreprises suisses sont peu flexibles sur les compétences demandées et sur l’éloignement domicile-travail (au delà de 30 min, tout de suite annoncer qu’on est prêt à déménager (contrairement à la France l’emploi est très décentralisé et se répartit assez uniformément sur la moitié Nord du territoire suisse)) et attendent que l’employé reste à disposition quoi qu’il arrive. De plus le temps de recrutement est très long: de l’ordre de 3 mois. 2 entretiens et une journée « découverte » sont le minimum dans le processus. On se demandent comment les entreprises peuvent véritablement réagir rapidement aux changement de marché commercial avec une telle attitude.
Bonjour,
Il y avait des quotas jusqu’en 2008 pour l’attribution des permis B. Arrivé en 2006, j’ai eu un permis L bien qu’habitant en Suisse.
En ce qui concerne les recrutements, il est exact que les recruteurs ont tendance à privilégier des personnes ayant une expérience diversifiée et surtout qui puissent directement être opérationnelles. C’est évidemment difficile pour les jeunes.
Par contre je n’ai pas d’inquiétudes pour l’avenir. Les suisses sont pragmatiques et font le maximum pour trouver des solutions suite à la votation du 9 février.
Merci pour votre blog toujours agréable à lire