Je viens de finir mon interview avec la RSR au sujet de l’impact des expatriés sur les prix du logement à Genève et en Suisse.
Les journalistes de la RSR ont réussi à obtenir un témoignage très intéressant, et surtout très rare : le responsable d’une régie immobilière du canton de Vaud à Lausanne a indiqué pendant le reportage que certains de leurs propriétaires ne voulaient louer leur appartement qu’à des expatriés. La raison ? C’est en général l’entreprise qui paye (il y a donc un meilleure garantie de solvabilité), mais surtout elles peuvent le louer à un autre tarif : alors même que le bien cité en exemple par le professionnel était sur le marché à 1 200 CHF par mois, il a été loué à un expatrié pour la somme de 2 850 CHF… C’est extrêmement choquant, et tout le monde, hormis la régie et le propriétaire, est perdant dans cette affaire.
Des pratiques qui ne sont pas nouvelles mais qui semblent se multiplier
J’ai régulièrement des échos de ce type de pratiques, ce n’est pas une surprise. Mais il semblerait que la pratique se « démocratise », et pour ma part je m’interroge sur le respect de la loi : il est en effet interdit à un propriétaire de procéder à une augmentation de salaire loyer sans devoir justifier d’une amélioration de l’équipement ou de l’état de l’appartement. Par ailleurs, les régies immobilières sérieuses vous fournissent en général, lorsque vous signez le bail, un document qui indique le loyer précédent, et les raisons de l’augmentation si besoin. Dans le cas du loyer mentionné en exemple, je me demande comment il est possible de justifier la multiplication d’un loyer de plus de 2,3…
Inutile de jouer les étonné car dans ce cas, les bailleurs se sont arrangés avec l’entreprise, probablement peu regardante : les multinationales en Suisse acceptent pour la plupart de débourser des sommes déraisonnables pour le bien-être de leurs cadres ou spécialistes, l’objectif étant que les expatriés se sentent rapidement bien et soient rapidement opérationnels. C’est louable, mais catastrophique sur le plan économique, puisque ces pratiques impactent la capacité de louer des personnes sur place, suisses et étrangers ne bénéficiant pas de ces aides.
Une minorité de travailleurs étrangers sont dans ce cas
Un autre point mérite à mon sens d’être soulevé : ce ne sont pas tous les travailleurs étrangers qui sont dans cette situation mais uniquement une partie (les expatriés qui sont « aidés » par leur employeur d’une part, et d’autre part les riches étrangers, souvent au bénéfice de l’impôt au forfait, qui sont ultra minoritaires) : sur les 100 000 étrangers qui viennent s’installer en Suisse chaque année, ceux-ci représentent une minorité.
Une responsabilité des professionnels de l’immobilier
Certains professionnels de l’immobilier ont, à mon sens, une part non négligeable de responsabilité dans cette hausse des prix : ils acceptent de louer uniquement sous certaine conditions et à certaines personnes notamment, ce qui fausse de manière très claire le marché. Certaines sociétés de relocation ont également un rôle dans ces hausses (sociétés qui accompagnent les expatriés dans leur installation et qui les aident à trouver un logement).
Les lois doivent être modifiées et le marché régulé, notamment à Genève
A Genève, il n’y a que 1 200 logements qui sont créés par an, et seulement 30% d’entre-eux sont des logements locatifs.
A mon sens, le marché de l’immobilier à Genève est tellement tendu, qu’il est indispensable de le réguler, et je rejoins en cela l’ASLOCA (l’association de défense des locataires en Suisse romande). L’association propose notamment de durcir la loi afin que les locataires d’un logement soient mieux protégés et ne puissent être « remerciés » au profit d’expatriés payant plus cher.
Parmi les mesures proposées par l’association, il faudrait que le canton permette une accession au logement à plus de personnes, un peu à l’image de ce qui se fait dans d’autres cantons :
– Le canton de Zoug a fait office de pionnier, en réservant des terrains pour y construire des logements bon marché, et en subventionnant les communes du canton qui souhaitent racheter des terrains pour y construire des logements à loyer modéré.
– Zurich, qui a sorti de terre plus de 13 000 logements en 10 ans, a adopté un modèle de coopérative qui proposent des loyers très bas
La question qu’on peut se poser est la suivante : pourquoi les autorités genevoise n’agissent-elles pas dans ce sens ? Par manque de place, car il est vrai que les zones constructibles sont plus que limitées, mais également pour des questions d’argent, puisque le marché de l’immobilier à Genève doit représenter, en termes de bénéfices, pas loin de 200 millions de francs suisses par an. En proposant des mesures visant à faire baisser les prix, on baisse la rentabilité, tout en sachant cependant que cette rentabilité se fait sur les dos des contribuables et habitants du canton.
Ecouter l’interview de Carlos Sommaruga, secrétaire général de l’Asloca sur la RSR et mon interview.
Consultez la rubrique « Se loger en Suisse » du site Travailler-en-Suisse.ch, ainsi que le site de l’ASLOCA.
Recevez par mail directement tous les nouveaux billets du blog de Travailler en Suisse et devenez fan du Groupe Facebook « Travailler et vivre en Suisse«
Sylvie says
Merci David pour cet excellent billet. Juste un petit détail: il y a une coquille (lapsus?) dans le second paragraphe QUOTE il est en effet interdit à un propriétaire de procéder à une augmentation de salaire sans devoir justifier d’une amélioration de l’équipement ou de l’état de l’appartement. UNQUOTE
David Talerman says
@Sylvie : merci, c’est corrigé !
Robert Marchenoir says
C’est amusant de vous voir tourner autour du pot : les solutions ne sont naturellement pas celles que vous évoquez. Elles consistent soit à libéraliser le marché du logement, soit à restreindre l’immgiration, soit les deux.
Mais vous déplorez que les propriétaires cherchent à gagner de l’argent, et que les entreprises qui en ont les moyens cherchent à loger leurs employés. C’est idiot. C’set un combat perdu d’avance.
La Suisse (et par conséquent ce blog) sont dans l’ensemble libéraux, mais il y a des exceptions, l’une des plus notables étant le logement. Il est piquant de vous voir défendre le libéralisme là où les Suisses sont libéraux, et l’étatisme là où ils sont étatistes.
J’entends bien que le territoire suisse est restreint, et les zones constructibles encore plus. C’est en effet une particularité du pays.
Il appartient alors aux Suisses de décider quel compromis ils souhaitent entre la préservation des terres non bâties de leur pays, et l’accueil de travailleurs étrangers qui contribuent à leur prospérité.
Mais ils ne peuvent pas avoir les deux.
Soit ils vont devoir bétonner toute la Suisse — et je serais le premier à dire que ce serait dommage, soit ils vont devoir mettre un frein à l’immigration, même de travail, même de luxe.
Mais faire la leçon aux propriétaires et aux régies en leur disant : cépabien de gagner de l’argent, ça ne peut pas marcher.
Regardez ce qui se passe en France : c’est ce qu’on fait depuis 1918. Et depuis 1918, ça ne marche pas…
David Talerman says
@Robert Marchenoir : Aïe ! J’adore lire des commentaires qui me disent que ce que j’écris est idiot…
Concernant la libéralisation du marché de l’immobilier en Suisse, je trouve pour ma part qu’il est quasi complètement libéralisé puisque même les lois n’arrêtent pas les propriétaires, et les autorités ne semblent pas particulièrement réagir (d’ailleurs, y-a-t-il eu des plaintes ?). Donc le libéraliser encore plus, je ne vois pas comment. Bien au contraire, la solution serait de réguler le marché de manière bien plus importante, et c’est la position de l’ASLOCA que je partage. En faisant voter une loi plus restrictive, en l’appliquant, et surtout en ayant un vrai programme de développement immobilier.
De plus, compte tenu des prix pratiqués, propriétaires et régies pourraient continuer à gagner de l’argent sans pour autant pratiquer des tarifs discriminatoires, qui sont simplement anti-économiques à mon sens.
Enfin, les sociétés ne sont à mon sens pas responsables : elles s’adaptent à ce que le marché leur permet de faire, dans la limite de leur moyen.
Concernant le parallèle avec la France, je suis là aussi d’un avis complètement différent : aussi bien le marché du logement que l’immigration fonctionnent sur un modèle et sur des règles totalement différentes…