Quelques jours après les résultats de l’initiative anti-minarets, la presse internationale ne s’est toujours pas calmée. Les critiques fusent de part et d’autre de la planète, traitant la Suisse au mieux d’intolérante, au pire de xénophobe.
Je ma garderais bien de me prononcer sur ce sujet brulant : je n’approuve pas le résultat, mais le respecte. J’aimerais juste dénoncer quelques contre-vérités parues dans la presse et sur le web, et replacer les choses dans leur contexte.
Quelques affiches « choc » de l’UDC, la droite populiste suisse
Les Suisses sont-ils réellement intolérants ?
Pour parler d’intolérance, il faudrait connaître quelques informations « basiques » sur la Suisse, ce qui n’est pas le cas de la plupart des journalistes ou hommes politiques étrangers qui ont décidé de fustiger le pays. Combien savent que plus de 20% de la population résidente en Suisse est étrangère ? Combien savent que le pays s’est construit en unissant au fil des âges des cantons – alors indépendants – qui n’avaient dans certains cas pas la même langue, et pas la même religion ? Les exemples de pays ayant réussi ce tour de force, il n’y en a pratiquement pas dans le monde, les différences de religions font en général couler le sang, et rassemblent rarement.
Le nec plus ultra : quand un député européen veut faire revoter le peuple suisse
J’ai lu avec délectation l’interview de Daniel Cohn-Bendit dans le Temps. Ce cher Daniel fait la leçon au peuple suisse, rappelant le souvenir de l’attitude isolationniste de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, en oubliant bien sûr de mentionner l’attitude tout aussi glorieuse des « collabo » français… Mais qui est-il pour donner une leçon de politique à la Suisse ?
Le système suisse de démocratie semi-directe doit-il être remis en question ?
Sur le fond, on peut s’interroger : le Conseil fédéral et le Parlement ont donné leurs consignes de vote (un « non »), les différents partis et lobby également. Au final, seule la droite dure (UDC) a défendu l’initiative. Le peuple s’est plutôt mobilisé plus qu’à l’accoutumée pour aller voter (53%, voir les résultats sur le site du Parlement suisse), ce qui a profité aux extrémistes, plus organisés. C’est donc une belle leçon de démocratie : n’en déplaise aux autres pays, le peuple suisse a choisi, en espérant qu’il se mobilise davantage pour les prochaines votations de ce type. Les Français qui s’insurgent se souviendront de la « finale » Chirac – Le Pen aux présidentielles il y a quelques années…
Quelques liens vers articles sur le sujet des minarets en Suisse
- Le Monde : les Suisses auraient-ils voté tout haut ce que les Français pensent tout bas ?
- Tribune de Genève : « les minarets : un débat ridicule et dangereux«
- Swissinfo : Les minarets au coeur d’une vive polémique (article de 2006 qui retrace l’état d’esprit à l’origine de l’initiative)
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Daniel Cohn-Bendit appelle à revoter parce que le résultat ne lui plaît pas. Cela ne vous rappelle rien?
C’est très bien de dénoncer les contre-vérités, mais alors il ne faut pas en ajouter d’autres…. 😉
1) Plus de 20 % de la population est étrangère. Fort bien.
Mais il faut interroger la définition du mot « étranger ». Contrairement à la France, le droit du sol n’existe pas en Suisse (il a été proposé et refusé en votation populaire pour les jeunes de la 3e génération !). D’autre part, un adulte immigré doit attendre 12 ans avant de déposer une demande de naturalisation, beaucoup plus qu’en France. Enfin, cette demande peut être refusée pour toutes sortes de motifs, plus ou moins avouables.
Ainsi, aujourd’hui, plus des deux tiers des gens enregistrés comme « étrangers » en Suisse sont nés ici ou y résident depuis plus de 15 ans ! Si on appliquait les lois françaises en Suisse, on aurait à peu près la même proportion d’étrangers (et les nôtres sont très majoritairement européens, je le rappelle).
Cette perpétuelle comparaison entre nombre d’étrangers d’un pays à l’autre est une tarte à la crème de la manipulation statistique. La définition du national et de l’étranger est propre à chaque pays.
2) La Suisse n’a pas toujours été le petit miracle de cohabitation que vous mentionnez. Il a tout de même « fallu » deux siècles de guerres de religion pour arriver à un modus vivendi entre catholiques et protestants.
3) Vous faites l’impasse sur un élément essentiel de la problématique des votations populaires. Elles doivent être validées en amont de la votation par l’Assemblée fédérale (législatif national). Celle sur les minaret l’a été parce qu’elle ne constituait pas une violation des règles dites « impératives » du droit international. Il s’agissait presque de formalisme juridique. Une classe politique courageuse aurait pu invalider cette initiative. Elle ne l’a pas fait. Ensuite, il y a aussi un contrôle en aval de la décision populaire. Une décision négative sur les minarets pourrait théoriquement faire l’objet d’un recours à la cour européenne de Strasbourg. Les bases d’une telle action existent : la constitution suisse inclut la non-discrimination (notamment entre les religions) à son article 8 et la Suisse s’est engagée par convention à respecter les arrêts de Strasbourg. Si la Suisse devait en arriver à dénoncer la convention pour garder son alinéa anti-minarets, nul doute que la majorité des citoyens recommencerait à réfléchir…
J’approuve le reste de vos propos et je trouve utile vos précisions à l’égard du public francophone hors de Suisse. Mais ces compléments m’ont semblé nécessaire, pour éviter que la Suisse passe pour une simple démocratie plébiscitaire (on risquerait de croire qu’elle pourrait réintroduire la torture aussi facilement qu’elle a interdit les minarets…).
@Daniel : merci beaucoup pour ces précisions très intéressantes et qui rajoutent un peu de « contraste ».
Concernant le dernier point, il est très clair que l’initiative est, sur le plan constitutionnel, « limite ». D’ailleurs, il me semble avoir lu qu’un avocat genevois allait saisir la convention des droits de l’homme.
Je ne l’ai effectivement pas mentionné, mais la Chancellerie doit effectivement étudier la recevabilité du projet, sur le plan du droit interne et international (voir mon billet « Ah que c’est beau la démocratie directe en Suisse« ).
UDC = traìtres à la patrie.
Ce qui est en question de mon point de vue (point de vue libertarien classique), ce n’est pas tant le résultat que de savoir « qui décide au sujet de quoi ».
En effet, la question posée dans ce référendum est bonne, mais elle ne s’adresse pas aux bonnes personnes.
Supposez qu’un village soit tout à fait d’accord pour accueillir un minaret : il ne pourra pas le faire parce que des personnes non concernées par la question et n’habitant pas dans le village ont décidé que c’était interdit ! C’est clairement une régression dans les libertés et un déni du principe de subsidiarité pourtant inhérent au fédéralisme suisse : c’est comme si d’autres que vous décidaient à votre place de ce que vous avez le droit de faire chez vous. C’est le problème éternel de la démocratie qui permet impunément à une majorité d’imposer des décisions liberticides.
@David Talerman :
Pour préciser ma pensée, je ne suis pas sûr qu’un recours soit véritablement accepté à la cour européenne directement contre la votation, même si en effet plusieurs juristes et notamment un constitutionnaliste se sont exprimés en ce sens. A suivre…
Ce que je voulais dire, par contre, c’est qu’une décision négative d’une commune, basée sur le nouvel amendement constitutionnel pourrait faire l’objet d’un recours à Strasbourg. C’est la situation « normale », étant donné qu’il n’y a pas de contrôle constitutionnel a priori en Suisse. C’est uniquement « l’application du droit » qui fait l’objet d’un recours. D’ailleurs, la cour ne peut pas modifier la constitution suisse, ce qui fait qu’en définitive le peuple aurait toujours son mot à dire….
Mais mieux informé et au risque des inconvénients d’une dénonciation de la convention, on peut imaginer des changements de position. Surtout si en parallèle arrivait une autre proposition, égale pour toutes les religions, consistant à remplacer cet amendement par un nouveau qui garantirait la laïcité.
Tout ça pour dire que ce magnifique imbroglio ne va pas être résolu en 3 semaines. C’est aussi ça la démocratie… La Suisse est un pays compliqué. 😉
A Daniel: la Suisse accueille plus d’étrangers que la France en proportion: le taux est de 1,76 arrivées pour 1000 en Suisse alors qu’il est de 1,48 pour 1000 en France.
@Vilay :
Merci pour cette réponse, c’est intéressant.
Pourriez-vous me dire d’où vous tirez vos chiffres ? J’aimerais bien prendre connaissance de la source complète, avec méthode de calcul.
Cela dit, 1,76 % et et 1,48 (ou 176 et 148 arrivées pour 100’000 habitants), c’est tout de même à peu près le même ordre de grandeur et cela donne un tout autre type de comparaison que quand on essaie de démontrer qu’il y aurait 3 fois plus d’étrangers en Suisse (alors qu’ils sont en Suisse depuis plus longtemps que des gens considérés comme français en France). Le fameux 20 % de population étrangère qui impressionne tant est plus dû à l’attribution plus restrictive de la nationalité qu’à des arrivées tellement plus grandes… vos chiffres le confirment.