Comme beaucoup de Français, j’ai regardé avec attention la manière dont se sont déroulés les évènements pour la réforme des retraites en France. Ce qui s’est passé est une excellente illustration de ce qui ne se passerait jamais en Suisse. Et pourtant, il y a de belles idées – et méthodes – suisses à appliquer en France.
En effet, outre l’organisation de manifestations (…), il y a une 4 autres disciplines où nous autres, Français, excellons : 1/ l’art de vouloir tout réinventer, 2/ la culture du privilège, 3/ le refus de négocier et de discuter, et 4/ le refus de donner la parole au peuple.
Dans cette réforme des retraites en France, on a connu tout ceci.
Un gouvernement qui impose et qui ne discute pas
Le gouvernement français a, une fois plus et comme tous les gouvernements précédents, imposé sa vision des choses. Parti d’un constat simple (si on continue comme ça en matière de retraite on fonce droit dans le mur), il est évident qu’il faut changer les choses. Et je crois que tout le monde, à droite comme à gauche, est d’accord. Mais plutôt que de discuter avec des syndicats qui de toute façon sont ultra-minoritaires dans l’opinion publique, représentent majoritairement la fonction publique, et qui auraient dit non de toute façon, le gouvernement a préféré prendre un raccourci et imposer sa vision.
Il aurait en effet peut-être été judicieux d’écouter ce que les syndicalistes avaient à dire, tout comme l’opposition, il y a de bonnes idées à prendre partout.
Et puis même si je suis contre le syndicalisme à la française, je me dis qu’avec une attitude pareil, les syndicats n’avaient pas d’autre alternative que de radicaliser leur action (il faut dire qu’avec une si faible représentativité, il n’en ont pas beaucoup d’autre).
La culture du privilège
La réforme des retraites est votée par des parlementaires qui bénéficient eux-même d’un traitement de faveur dont peu de monde connait le détail. Par exemple, pour un mandat de 6 ans, un sénateur touche un peu moins de 2 000 euros de retraite par mois. Au bout du compte, une retraite de sénateur s’élève en moyenne par mois à plus de 4 400 euros. Tout ceci pouvant, bien sûr, se cumuler avec d’autres retraites. Il y a bien d’autres avantages, mais il faut retenir une chose : rien de tout ceci n’est possible dans la vraie vie en France. Bref, les intérêts du peuple sont bien gardés, nous pouvons avoir confiance. En Suisse, tout le monde est sur le même pied d’égalité, et on déteste les privilèges et les privilégiés.
L’art de tout réinventer
Et si on regardait ce qui se passe autour de nous, en Suisse par exemple ? A l’occasion des manifestations de la semaine passée, je me suis intéressé aux propositions des syndicats français. Entre autre revendications, ils demandaient qu’une partie des bénéfices des entreprises soit utilisée pour financer les retraites. L’idée exprimée ainsi est proprement limitée, car ce fonctionnement ne résisterait pas à une crise économique. Par contre, coupler un système par répartition, qui garantie une pension minimale, et un système de fonds de pensions, alimenté en partie par les cotisations des entreprises et des salariés pourrait être une solution. Ça s’appelle le 1er et le 2ème pilier, ça existe en Suisse, et même si le 2ème pilier a connu quelques faiblesses, cela n’a rien à voir avec l’effondrement qui attend le système de retraite français.
Mais pour cela, il faut avoir le courage de dire : « je l’ai vu ailleurs, ça a l’air pas mal, pourquoi pas le faire chez nous ? »
Et l’avis du peuple dans tout ça ?
Et peut-être finalement que le peuple français aurait son mot à dire aussi. Il a été en effet question d’un referendum en France pour ce sujet, option totalement rejetée par les syndicats : déjà qu’ils se font régulièrement dépasser par leur base, si on plus le peuple avait un avis différent… Quant au gouvernement, aucune chance qu’il donne la parole au peuple : les « gens » ne peuvent pas comprendre, et ils n’ont fait ni l’ENA ni Polytechnique. C’est dire qu’ils ne comprennent pas grand chose…
En Suisse, la réforme du 2ème pilier, et notamment la baisse du taux de conversion, a été refusée par le peuple il y a peu. Après plusieurs débats, et explications de la part des parlementaires et du gouvernement, le peuple a en main des éléments pour se faire une opinion. C’est un autre style.
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David says
La France est en effet dirigée par des ENArques, qui considèrent que l’avis et les idées du peuple sont à négliger.
Il en résulte, comme vous le soulignez bien, un double fonctionnement: la fonction publique en grève permanente, et des travailleurs de l’ombre qui ne profitent plus d’un système devenu obsolète.
Les fonctionnaires Français, inutile de s’étendre sur le sujet, ne comprendront jamais ni la pression du secteur privé, ni le mérite, ni la compétitivité. Les privilèges inadaptés aux contextes doivent être conservés, peu importe ce que cela coûte à la société! Le mot d’ordre, handicaper la France à chaque fois qu’une réforme s’impose!
En parallèle, une grosse partie du peuple Français, celle que l’on ne voit jamais au Journal Télévisé ou dans la rue, s’est résolu à une certaine indépendance. Ne réclamant plus les petits remboursements de Sécu à un mammouth engraissé, cette France de travailleurs ne compte même plus sur une quelconque indemnité de retraite.
En effet, les jeunes trentenaires ont bien compris que ce système n’est plus adapté à notre pyramide des âges et à notre économie. L’heure est plutôt à conserver une certaine compétitivité industrielle, et donc des emplois!
Et le gouvernement dans tout ça? Laissons les minoritaires se montrer dans les médias, leur poids est tout-à-fait gérable. Les travailleurs travaillent, les grandes entreprises déménagent, et les fonctionnaires font grève en toute occasion.
Le bateau Français se prive des idées et de l’avis du peuple. Il ne peut pas y avoir de référendum comme en Suisse, il ne s’agit là que de gestion à court terme, de carrières de 5 ans. Et non de développement durable de l’économie d’un pays…
David Talerman says
@David : j’apporterai un bémol, car parmi les fonctionnaires en France, certains sont, à mon avis, plus que méritants, avec des horaires délirants, et un salaire de misère. Ce sont par exemple les officiers de police, les infirmières…
Plutôt d’accord avec l’analyse. Il faudrait que la majorité silencieuse le deviennent moins… par référendum !
lecteur says
J’apprends que le Senat vient de ratifier l’avenant a la convention fiscale franco-suisse , ce qui va enfin permettre de taxer les retraites en capital de nos amis frontaliers qui jusqu’ici se les mettaient dans la poche sans un sou d’impot a quiconque. J’entends deja les jeremiades des frontaliers.
David Talerman says
@lecteur : je publie ce commentaire qui trahit votre ignorance du sujet : les retraites sont déjà le fruit de prélèvements sociaux me semble-t-il… Et dans la mesure où les Suisses ou personnes qui restent en Suisse ne paient pas d’impôt à la source, cela ne me semble pas très équitable… Plus d’information sur la taxation du 2ème pilier sur le site Travailler-en-Suisse.ch.
martorell says
La mentalité et le civisme des Suisses n’est pas meilleure que celle des français. Elle est simplement différente et cela permet de gérer les problèmes à la Suisse, c.a.d. avec pragmatisme.
La France (globalement) manque de culture économique et de pragmatisme. Par contre elle a à revendre une culture théorique basée sur l’égalitarisme à tous les niveaux (cela n’a rien à voir avec l’égalité) et les résultats découlent de belles formules. Quand cela ne marche pas, ce n’est évidemment pas la faute de la formule mais……………du capitalisme.
La plupart des français n’ont pas compris qu’en 2008 l’Etat a sauvé les économies des français et non les banques.
On fait donc avec la matière première qu’on a, mais comme les responsables sont issus du peuple, il ne faut rien reprocher à personne.
David Talerman says
@martorell : très juste ! Concernant le fait que les responsables sont issus du peuple, je serai plus modéré : le peuple français vote effectivement pour les présidentielles et les législatives, mais entre les promesses et les réalités, il y a parfois une grosse différence. Contrairement au peuple suisse, qui a le pouvoir sur les lois d’une manière ou d’une autre, le peuple français ne peut que subir les lois votées par le Parlement et les décisions d’état. S’il y a autant de manifestations en France, ce n’est pas étranger à cette frustration.